J'ai suivi un peu l'affaire, et je suis assez surprise par le bruit qu'elle a fait.
Au départ je me suis inquiétée de ce jugement, mais en creusant un peu je l'ai trouvé finalement complètement normal.
Je vais essayer de retranscrire ici ce que j'ai pu lire sur le monde (
https://www.lemonde.fr/societe/arti...rmet-d-affirmer-que-la-justice-serait-laxiste_6077883_3224.html entretien avec le procureur général de la cours de cassation, article malheureusement réservé aux abonnés) ainsi que sur l'interview d'un des experts dans Marianne (
https://www.marianne.net/societe/po...-se-defend-lirresponsabilite-penale-simposait)
Je ne comprends pas trop pourquoi les gens veulent changer la loi. Je veux dire, on peut avoir un sujet de discussion démocratique sur la notion de responsabilité et de discernement. Et même réfléchir à faire plus de prévention/répression autour de la prise de cannabis. Mais même si on va dans le sens d'une modification de la loi telle que proposé par le gouvernement, on aurait sûrement abouti au même résultat juridiquement.
Ce sont les médias qui ont dit que l'origine du problème était la prise de drogue MAIS ce n'est pas l'avis des experts.
Pourquoi ?
Car selon la majorité des experts (6/7), l'abolition du discernement du meurtrier était antérieure à la prise de cannabis. Et la drogue n'est pas la cause unique NI MÊME principale de la bouffée délirante. Ensuite cette bouffée délirante ne pouvait être anticipée car elle est par définition inédite et exceptionnelle.
En d'autres termes le meurtrier était déjà devenu "fou" quand il a consommé de la drogue. Et c'est sous l'emprise de la drogue que s'est déclenché la bouffé délirante qui l'a conduite à ce meurtre tragique et odieux. Mais on ne SAIT pas ce qui se serait passé sans prise de drogue. La drogue a donc aggravé son état assurément, mais personne n'est en mesure de dire si le meurtre aurait eu lieu quand même.
Bref ça c'est l'avis de la majorité des experts. Peut-être que on peut remettre en cause leur travaux, mais je n'en suis pas capable.
1 parmi 7 est en désaccord avec les autres sur l'abolition du discernement.
Le 7 ème expert (c'est en realité le premier à être intervenu) pense au contraire que la consommation de cannabis était délibéré et volontaire et qu'il avait contribué à l'apparition de son trouble mental. Qu'il en est responsable car il a décidé de prendre du cannabis.
En effet le cannabis augmente dangereusement l'apparition de troubles psychiatrique comme la schizophrénie ou la bipolarité (on passe de 1% à 2%, c'est pas non plus une conséquence hyper courante). Mais le meurtrier (et la population en générale) ne le savais PAS. Ce n'est pas comme si le type s'était réveillé un matin en disant : tiens j'irai bien tuer ma voisine juive au couteau, je vais prendre un peu de cannabis avant, ça me rendra plus déterminé.
C'est pas comme l'alcool au volant. Ca, tout le monde sait que c'est une mauvaise idée. Est ce que les gens qui prennent "un petit pétard en soirée avec les potes" savent qu'ils risquent de déclencher l'apparition d'un trouble schizophrène et d'une bouffée délirante meurtrière ? Non. Et le meurtrier ne le savait sûrement pas non plus quand il a commencé à fumer du cannabis à 15ans.
En plus ce n'est pas un truc systématique.
Comme le dit l'article du monde " toute personne qui consomme de l’alcool ou du cannabis n’a pas une bouffée délirante et ne voit pas son discernement aboli"
Donc si vous décidez de prendre de la drogue pour aller tuer quelqu'un, ben perdu, vous serez quand même responsables de vos actes devant la loi. (Même la loi actuelle sans aucune modification)
Ensuite, où est ce meurtrier depuis d'après ceux qui s'insurgent? Au club Med ? Il est dans un hôpital psychiatrique sous haute surveillance depuis 4 ans. Car depuis il souffre TOUJOURS de problemes psychiatriques graves. Pourquoi voulez vous qu'il soit jugé ? Pour le punir ? On ne punit pas les fous. Pour protéger la société ? Le meurtrier est déjà banni hors de la société. Pour la famille de la victime ? Un procès ne sert pas les victimes, uniquement la société. Et un procès ne pourra jamais réparer le mal qui leur a été fait.
Quant à la communauté juive francaise d'autres choses pourraient être faites pour qu'ils se sentent validés par l'État français.
Enfin comment peut on juger que le crime est antisémite ET que son auteur était dans des conditions d'abolition du discernement. Parce-que dans le droit français on établit séparément la qualification de l'infraction et l'immutabilité de l'auteur. C'est assez récent dans le droit français. Mais on demande au juge de dire comment ils auraient qualifié le délit/crime SI l'auteur pouvait être considéré comme responsable de ses actes.
Si je tue quelqu'un sous l'emprise de la folie car je pense qu'il est secrètement un extraterrestre. J'ai commis un meurtre, mais je ne suis pas responsable. Si je tue une personne juive sous l'emprise de la folie car j'ai des préjugés antisémites en plus, je suis toujours un meurtrier. Mais mon crime est antisémite. Cependant je ne suis toujours pas responsable pénalement.
Et je trouve que c'est super comme subtilité ! Le crime dont a été victime Sarah Halimi EST antisémite. Et il faut parler de l'antisémitisme et le combattre. Mettre des mots sur des crimes est important. Mais dans ce cas précis, il est normal que son auteur ne soit pas jugé.
Les gens pensent que les personnes "folles" sont complètement déconnectées de la réalité. Mais même ces personnes atteintes de maladie psychiatrique grave ont des opinions, une pensée, un raisonnement. Certes altérés par leur conditions mais présents tout de même. Le meurtrier était antisémite avant le déclenchement de son trouble. Il est devenu fou. Il a tué quelqu'un car il était fou, mais il l'a tué ELLE car elle était juive et qu'il était antisémite.
Bref, parlons de la gravité de l'antisémitisme. Parlons des problèmes d'addiction. Faisons de la prévention. Des manifestations. Des pétitions. Des débats. Des conférences. Mettons de l'argent dans la prévention (et dans la justice tant qu'à faire).
Mais le sujet N'est PAS un problème de droit. Ni de justice.
Et je suis sincèrement désolée pour la famille de la victime à laquelle je présente mes condoléances. Je suis désolée pour tous les juifs de France qui se sentent mal défendus et protégés par l'État français (et vu combien les discours de l'extrême droite se banalisent, je ne peux pas vraiment vous en vouloir).