Le jour où j'ai fait l'amour pour la première fois. J'ai réalisé que j'avais franchi une barrière définitive, entre mon enfance et la vie adulte. Que je ne pourrais plus jamais revenir en arrière. Une sensation à la fois grisante et atroce. Je me sentais envahir un nouveau monde, celui des adultes - mais j'étais loin d'en être une. Très loin. Je venais de faire un de mes premiers pas dans ce nouveau monde et c'était désastreux, en vérité. Un désastre humain.
La première fois que j'ai conduit aussi. Vraiment, avec le volant, les pédales. Le moniteur à côté de moi. J'avais l'impression d'être dans un rêve. C'était spécial comme vision, et comme sensations. Je me portais, et je portais quelqu'un à côté de moi. J'ai vraiment réalisé que ma vie et une autre pouvaient dépendre de moi; j'avais un poids de responsabilité sur les épaules, pour la première fois. Un poids de vie et de mort. J'ai senti que c'était un peu ça, être adulte. Avoir des actes qui pouvaient tout faire basculer si on bougeait d'un pouce.
Le jour où j'ai eu ma carte bancaire moi aussi, c'était un des éléments-clés de la vie d'adulte "autonome" financièrement. Mais c'était loin d'être adulte, en réalité là aussi.
Sinon je me souviens que j'ai eu petite, un moment court, quelque chose de symbolique dans ma vie. Pour aller chez ma mémé, on passait à pied ou en vélo (et on passe encore) par un pont avec le fleuve en dessous qui m'a toujours fait peur (combien de fois j'en ai rêvé!) et un jour en le regardant - je devais avoir huit, neuf ou dix ans - je me suis dit: "Tu vois, tu peux décider de mourir de toi-même, de te donner la mort. Tu sautes et voilà, tout s'arrête." Cette prise de conscience sur la capacité de l'homme à se donner la mort, sur l'acte indélébile a été très forte; je me suis sentie définitivement sortie de l'innocence de l'enfance avec cette pensée soudaine.