Je ne dis pas que ça va être la panacée, mais déjà, il y a le discours, qui reste d'un engagement politique fort.
Je rappelle que la cause féministe ne fait pas l'unanimité, qu'actuellement les "scandales" génèrent au contraire une forte résistance et paranoïa chez beaucoup, alors une prise de parole du président, c'était essentiel, et c'était pas du tout un acquis.
Ensuite il n'y a pas que des "mots", il y a des propositions concrètes: une hausse de budget, des mesures visant l'éducation, la loi (délai de prescription, age du consentement...), etc.
Pour moi, ces propositions répondent à beaucoup de demandes qui ont été faites par les organisations féministes, et prouvent qu'il y a eu écoute, réflexion et travail en amont.
Les scandales génèrent une forte résistance chez une poignée de mecs médiatiques et c'est tout en fait
Si cette minorité vocale réussit à bloquer tout c'est parce qu'on l'écoute et que les politiques lui donnent du crédit! Donc en essayant de leur dire "je vous ai entendu", Macron fait EXACTEMENT ce qu'il ne faut pas. Il voulait se distinguer de Hollande mais il reproduit EXACTEMENT les mêmes erreurs.
Quand François Hollande a été élu, 65% des Français étaient pour le mariage pour tous. Ils étaient toujours 65% quand la loi est passée (malgré un décrochage à 60% juste après la grosse manif anti-mariage), et 63% 6 mois plus tard. C'est une large majorité, plus de 2/3 des Français. Pourtant, en écoutant les médias et les politiques tout à fait à l'écoute des conservateurs, on aurait cru que la France était vraiment divisée en deux sur la question, c'était une illusion créée par l'écoute disproportionnée accordée aux anti-mariage pour tous. Et ce projecteur médiatique a eu des effets très négatifs. Avant l'élection de Hollande, l'homosexualité était acceptée par 86% de la population. Un an après son élection, elle n'était plus acceptée que par 77% de la population. Et idem pour les partisans de l'adoption. Ils étaient 58% à être favorable à l'adoption par les couples homosexuels avant l'élection de Hollande, mais plus que 48% après son élection.
(source :
http://www.lemonde.fr/societe/artic...ceptee-qu-en-2007-en-france_3424577_3224.html
https://www.la-croix.com/Actualite/...publique-tres-partagee-_NP_-2013-01-29-905084
https://www.observatoiredumariagepourtous.com/chiffres-clés/sondages/)
Ces chiffres démontrent bien qu'Hollande a très, très mal géré sa gestion d'un sujet de société. Il voulait porter une loi progressiste, mais s'il a bien donné des droits légaux nouveaux aux homosexuels, il a aussi directement contribué à dégrader la perception de l'opinion publique sur ces questions, parce qu'il a traité avec beaucoup trop de sérieux les oppositions.
Les grands progrès pour les droits humains en France sont toujours passés en force, parmi les plus récents le droit à l'avortement et l'abolition de la peine de mort. Si les personnalités politiques qui les portaient avaient repris des éléments de language de leurs opposants pour "les rassurer" ben... ça aurait donné le même chose que l'abolition de l'esclavage où les débats ont duré des décennies, soit des vies entières de gens réduits en esclavage, parce qu'il y a quelques conservateurs très vocaux qui s'y opposent.
Le mot "féminisme" ne fait pas l'unanimité mais tout le monde est d'accord pour dire que Tariq Ramadan qui viole une femme c'est mal, ou qu'un jeune socialiste qui harcèle des femmes, c'est mal, ou que Weinstein est un porc. Ceux qui s'expriment avec tant de véhémence dans les médias ont juste peur pour leur pote Gilbert qui aime bien mettre des mains aux fesses à ses jeunes collègues "pour rigoler" et personnellement je trouve non pas nécessaire mais problématique que le Président dise "je suis pas d'accord avec l'attitude de Gilbert mais j'entends votre inquiétude pour lui donc on va rester raisonnable sur la question!".
Ensuite, c'est ptete parce que j'étais jeune et optimiste à l'époque mais pour moi la vraie avancée en termes de discours c'était Najat Vallaud-Belkacem.
Quand elle a débarqué comme Ministre des Femmes en mettant sur la table les notions de construction genrée, en déclarant que tout ça se travaillait dès la toute petite enfance, qu'on ne pouvait pas se contenter de combattre le sexisme par la répression mais qu'il fallait changer les mentalités et les stéréotypes, qu'il fallait encourager les pères à prendre des congés parental pour rééquilibrer l'inégalité au travail, qu'il fallait imposer un quota dans les Conseils d'Administration des grandes entreprises, refuser les marchés publics aux entreprises qui ne respectaient pas l'égalité, la suppression du critère de "détresse" pour l'avortement, ça c'était une vraie position féministe avec des symboles forts.
Et François Hollande la soutenait totalement au début, jusqu'à ce que la Manif Pour Tous ne prenne toute la parole et ne le fasse changer d'avis sur la question. Les symboles c'est donc bien beau, mais quand on fait trop de concessions aux conservateurs sur une loi progressiste, on va droit dans le mur comme le programme ambitieux de NVB (ou le PS en général).
Alors oui, peut-être que "l'avancée" de Macron c'est que ce type de discours soit prononcé par un mec mais il n'est pas assez ferme sur la question. Il parle de délation, nie à mi-mot la notion de genre en parlant de différence fondamentale entre hommes et femmes, il fait trop d'appels du pied aux gens type Manif pour Tous pour qu'une vraie avancée pour les femmes me paraisse arriver au bout du chemin. Alors oui, ce petit clin d'oeil aux Finkelkraut de ce pays, ça lui permet d'avoir plus d'éloges dans les hauts cercles et ça donne une communication plus lisse que celle de Najat Vallaud-Belkacem qui a dû affronter des tempêtes de haine. Et la communication peut faire partiellement avancer les choses, mais pas quand le coeur de la com c'est "je suis progressiste mais je suis aussi raisonnable!" avant de placer la vraie cause au coeur du message.
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Sinon en parlant de ça, j'ai lu un article du magazine féministe américain Jezebel qui reprend des extraits du New York Times sur le discours de Macron.
https://jezebel.com/emmanuel-macron-france-must-no-longer-be-one-of-those-1820772814
https://www.nytimes.com/2017/11/25/world/europe/france-emmanuel-macron-sexual-assault.html
Et j'ai trouvé intéressant dans les commentaires, plusieurs lecteurs parle de la relation Emmanuel/Brigitte et du fait qu'il était son élève mineur quand ils ont commencé à se fréquenter. Certains commentateurs supposent que cette relation qui pourrait assimiler Brigitte Macron à une prédatrice sexuelle explique en partie la frilosité du Président sur la question et son appel à ne pas frapper toutes les relations hommes/femmes du sceau du soupçon et de la domination.
Et c'est vrai que c'est une réflexion intéressante. Je suppose que ça doit être difficile pour Macron d'avoir du recul sur certains types de harcèlement et de situaiton de domination parce que le contexte de sa relation amoureuse y ressemble trop fortement. Il a certainement dû énormément se justifier sur son amour pour Brigitte tout au long de sa vie et voir les regards réprobateurs comme ceux de "la société puritaine" (alors qu'en réalité, les regards réprobateurs étaient justifiés parce que bon, même si ça s'est bien fini c'est normal de s'inquiéter qu'une prof flirte avec un élève mineur à peine plus vieux que ses enfants)... Du coup, son ralliement au discours des conservateurs n'est peut-être pas simplement politique mais aussi une conviction personnelle née de sa propre situation?