Fanatique de citations également et toute nouvelle dans cet univers je m'en vais apporter ma petite contribution a cet endroit que j'adore déjà ^^ Merci pour tous ces jolis mots !
Pour aujourd'hui ce sera uniquement des citations de "Corps étranger" de Didier Van Cowelaert
Depuis que j'avais renoncé à faire quelque chose de ma vie, je me contentais d'être quelqu'un. Autrement dit, je renvoyais l'image que l'on m'avait collée; c'était sans intérêt, sinon sans avantages et il avait fallu un drame pour redonner un sens à la position enviée qui me tenait lieu d'existence.
Je ne dirais pas que le temps s'est arrêté, ce vendredi soir. Il avait déjà cessé d'avancer pour moi, six mois plus tôt quand une Renault Espace avait percuté la deux-chevaux blanches. Qu'allait-il me rester , maintenant que le seul amour de ma vie avait résilié son sursis ? Que faire sans son parfum, ses cheveux que je coupais à chaque lune montante, la caresse de mes mains sur son front, ses épaules, ma joue posée contre son sein par-dessus le drap où courait le nom de la clinique? Que faire sans sa belle au bois dormant? J'interrogeais le reflet mal fini qui me dévisageait dans le miroir de la salle de bain. Maintenant, ma présence sur terre avait perdu sa justification. Je n'avais plus qu'a me faire couler un bain rempli de mousse, par égard pour la femme de chambre qui me retrouverait, les poignets entaillés. Ou enjamber la balustrade. Ou louer une voiture pour aller me jeter d'une corniche. Mais à quoi bon? Moralement, j'étais déjà mort. Plus rien n'avait d'urgence.
Je vais crever sans toi, je le sais, à feu doux; continuer d'attacher, me laisser réduire tant qu'il y a quelque chose à brûler.
J'ai beau avoir derrière moi un apprentissage de six mois, je ne m'y fais pas, Dominique, je ne m'y ferais jamais. Je t'aime où que tu sois. Et tant pis si je t'empêche de m'oublier, si je t'empêche de partir à ta guise vers des mondes inconnus, tant pis si je te gâche la mort comme je t'ai compliqué la vie, je m'en fou: j'ai toujours été égoïste et c'était pour toi.
Je n'ai jamais soupçonné une seconde que tu t'entraînais à te passer de moi.
Et les larmes qui s'étaient refusées toute la journée inondent mes joues.
Une tristesse brutale, un creux dans la poitrine détournent mon regard vers le lit que je n'ai jamais refait. Les draps lilas de Dominique sont restés en l'état, froissés dans les plis de sa dernière nuit avant l'accident, son parfum de vanille imprègne encore un peu l'oreiller où j'enfouis mon nez chaque soir, à genoux sur le Maison et Jardin de septembre qu'elle avait laissé ouvert à la page des cyclamens, et je dors sur le canapé du salon pour éviter que son odeur ne remplace la mienne. Je triche, évidemment. Une fois par semaine, je vaporise un peu de son Ester Lauder. A la parfumerie, on m'a dit que la gamme Youth Dew s'arrêterait bientôt. Je vais stocker. Bien sur, tous mes efforts, tous mes refus sont dérisoires, mais seuls des gestes de ce genre peuvent encore me donner envie de m'attarder sur terre. Le ridicule ne tue pas; il conserve.
Je repense au moment où j'ai voulu mourir, vraiment, au retour de Tanger, pendant cinq bonnes minutes. Non, pas pour te rejoindre (si tu survis au delà, ce genre de précipitation est inutile et le bénéfice du doute suffit à tuer le temps) mais pour ne plus exister sans toi, ne pas jouer des prolongations dont l'issue m'indiffère.
Le jour où boire et fumer n'existeront plus, on lira sur les murs « Vivre est dangereux pour la santé », avec le numéro de la loi qui le décrète.
Voir remis à flot cet homme aussi naufragé que moi est la pire des choses qui pouvait m'arriver. J'ai perdu mon ancre, j'ai perdu mes repères et je dérive sans déranger personne: tout concourt à me pousser vers le large. Tout justifie les distances, les libertés que je devrais prendre.
A ma façon, je cherche des signes dans les moindres hasards, je me rend compte, au moment où j'ai renoncé, que j'avais vraiment envie de commencer une autre histoire.
C'est bon de constater comme la vie reprend le dessus, quels que soient la profondeur d'un chagrin et le dérisoire des circonstances qui permettent de l'oublier un temps.
Pourtant, je le sais , on avance bien plus toutes les fois où on l'on s'écoeure que toutes ces fois ou l'on s'estime.
L'avantage des lettres c'est que si je vous ennuie vous pouvez sauter une page sans me faire de peine.
J'ai souvent envie d'être vieille. D'avoir moi aussi mes souvenirs de bonheur à l'abri entre quatre murs de passage. Quatre murs ou deux cent pages...
Il est trois heures du matin, je suis confuse comme pas deux, mais c'est le seul moment où j'arrive à être plus sincère que timide. Alors tant pis si mes phrases boitent, au moins, elles vont où je veux.
On n'échappe pas à ce qu'on représente. Je ne suis rien d'autre que ce que les gens me renvoient. Ma nature profonde, c'est leur regard, c'est le reflet qu'ils m'imposent et la solitude par laquelle j'ai pensé m'y soustraire n'était qu'une manière de fermer les yeux.
Qui peut dire si l'on ne maintient pas en vie la conscience de ceux qu'on a aimés en reproduisant leurs gestes, en reprenant leur tics, en vaporisant leur odeur?
Des dents à mordre la vie. Mordons; l'appétit viendra peut-être.
A la fois moins à l'aise et plus sure de moi, on sent bien que j'ai des choses à dire et que personne ne s'y intéresse et que j'en ais pris le pli. J'aurais tellement besoin d'une présence qui me comprenne. De quelqu'un pour qui me battre. Je vis sans. Je fais avec. Et tout cela se traduit en silence pour ne pas déranger les gens, ni gâcher les quelques illusions qu'il me restent quant à l'avenir auquel je me croyais destiné.
La seule concentration que m'autorise le niveau sonore vise à défendre la chaise en face de moi que les tablées voisines essaient de m'enlever sournoisement toutes les deux minutes.
Je suis tellement content d'avoir pu susciter encore autant d'émotion, autant d'espoir et de sursaut par un simple assemblage de phrases, moi qui me croyait vitrifié dans une douleur égoïste.
Elle relève le regard, comme une dernière chance qu'elle nous donne, un dernier regret qu'elle me tend.
Je regarde cette beauté nature et joueuse; ce charme sans calcul, ces rondeurs, ces cambrures; je retrouve son écriture dans ses formes, cet appétit des mots, cette gourmandise pour tous les sentiments. Même ces failles de détresse soudaine qui s'ouvre dans sa voix comme les parenthèses de ses lettres. C'est une Martienne, et elle existe.
J'aime bien cette obstination d'enfant pendu à sa question. Ce mélange de gaminerie, de culture à tiroir et de féminité me touche plus que je ne puis le dire. J'ai peur tout à coup. Envie d'être désagréable, de mettre à l'épreuve nos sentiments, de gâcher le charme.
Elle m'observe du coin de l'oeil pendant que je mastique. Le pire est que je n'arrive pas à me sentir totalement mal à l'aise. Je ne sais pas ce qu'elle refuse en moi, j'ignore ce qui me plaît si fort en elle, sa maturité, ses éclairs d'enfance ou son corps; je ne vois pas où on va et curieusement, j'ai l'impression que ça nous rapproche.
Et on appuie nos fronts l'un contre l'autre, en souriant d'être ainsi et de penser qu'on a raison, comme si les blessures de la lucidité se soignaient par des chagrins immatures.
Paix à ceux qui cherche, paix à ceux qui sont seuls et tournent dans le vide...Car hier et demain n'existent pas: tout est aujourd'hui, tout est là, tout est présent. Ce qui est passé, se passe encore.
Et j'essaie de repasser notre soirée comme un examen que j'aurais raté.
J'ai l'impression que ses larmes coulent dans mes yeux.
Je ne réfléchissais pas. Je ne me formulais rien. Le choc s'était immédiatement résorbé dans une évidence contre les résolutions, les scrupules et les craintes ne pouvaient plus rien. Elle revenait vers moi comme je m'étais retourné contre elle, avec détresse, fierté, obstination,rejet du malentendu. Elle était là pour me surprendre à mon tour, effacer ma faute en la reproduisant. J'avais cru l'oublier; je n'ai fait que l'attendre.
Je n'ai plus peur de la perdre. Je n'ai plus peur de moi, de nous. Rien qu'une immense douceur. Plus elle m'attendrit, plus je la désire.
Mes mains réapprennent, reconnaissent, ne se lassent pas de chercher les caresses qu'elle veut, de freiner ses mouvements pour me laisser le temps de l'aimer.
Je n'ose pas te réveiller pour te dire que je pars. Je te laisse dormir encore un peu dans mon odeur. Tu m'as rendu tout ce que j'avais perdu: l'hôtel de mon enfance, l'accord avec mon corps, l'envie de changer, de sauter dans l'inconnu...Et même cette idée que le bonheur n'est pas une fin en soi, mais le meilleur des carburant.
En éspérant que ça vous plait ...Je repasse bientôt