Comme avec les belles choses quand elles vous étreignent. La douleur qu'on a dans l'émotion et qu'on trouve un peu idiote, d'avoir mal là où justement c'est la douceur qui prend. Et puis la joie à dire des souviens-toi, ces moments qu'on aime, qu'on appelle pourquoi, dans nos têtes, si de vouloir les partager c'est seulement conjurer le sort de les savoir derrière soi. Ca, impossible j'ai dit, non, on ne peut pas accepter que des trucs heureux finissent comme ça, remplis du vide où ils nous ont laissés.
(...) ils vont dire qu'ils n'ont plus de nouvelles parce que ça fait longtemps, et puis qu'une lettre ce n'est pas comme au téléphone, on en dit plus parce qu'on est seul pour l'écrire, avec soi-même qui s'épanche au-dedans.
(...) si tous les deux enfin ils arrivent un peu à sortir, à se changer les idées (je sais, pas vraiment changer les idées, seulement les recouvrir un peu, ou, à côté d'elles, en laisser d'autres venir un peu, minuscules presque, comme de l'herbe a crevé le bitume sur les vieilles routes)
Il savait qu'il était seul vraiment et moi je l'ai vu aussi, à ce moment-là, comment il était seul vraiment sans qu'on puisse dire c'est la solitude. Ce qu'on dit, la solitude toujours comme un grand mot qui contiendrait toute la vérité des choses qu'on ressent en soi et qui ne peuvent pas émerger de soi, et retombent toujours alors plus profondes en soi quand les autres ne veulent pas les entendre, ou ne peuvent pas, jamais, malgré l'effort qu'il a fallu pour les remonter jusqu'à eux. On a toujours été comme ça, nous. Gilbert peut-être moins que Luc et moi, moins que Céline aussi. Mais nous on tient ça de papa, a toujours dit Gilbert. On se repasse ça de père en fils, comme si de génération en génération tout ce que les vieux n'avaient pas pu dire c'était les jeunes à leur tour qui le prenaient en eux.
Loin d'eux, Laurent Mauvignier