En fait parce que j'ai amené le débat sur ce terrain-là parce que je constate qu'à chaque fois qu'on parle d'avortement, on évoque les possibles "avortements contraceptifs", et que la réponse à cet argument est toujours "elles sont minoritaires/elles n'existent pas/ceci cela" alors qu'il me semble important, quand l'argument des avortements de confort ou des avortements "contraceptifs" est utilisé notamment par le système politique, d'interroger pourquoi cet argument, qu'il soit valide ou non, en est un.
Je vais développer une dernière fois, pour dire tout ce que j'avais à dire sur le sujet et après j'arrête de vous embêter avec ça
L'argument ou le fait de dire "par contre quand des filles l'utilisent comme contraception/à répétition/plusieurs fois et s'en vantent c'est grave/dégueulasse/autre" participe à la construction d'une vision de l'IVG. Qui, dans de nombreux cas (et je ne dis pas que ça a été le cas des filles sur ce forum) revient à dire que l'IVG doit être... Méritée en quelques sortes. Que le faire une ou deux fois c'est compréhensible, c'est raisonnable, c'est responsable, que si on s'est protégée et que notre contraception a échouée, c'est compréhensible, mais pas si on a choisi de ne pas se protéger ou de se protéger d'une manière obsolète. Et ça revient je pense à dire que l'IVG est
pardonnable dans certains cas. Quand on lit des topics sur l'avortement, on retrouve toujours les mêmes phrases pour dire que la contraception peut ne pas fonctionner, qu'une telle est tombée enceinte sous pilule, que telle ou telle justification fait qu'on en est venue à l'avortement. C'est vrai, mais ce mécanisme de toujours devoir justifier, expliquer, montrer qu'on n'a pas voulu en arriver à l'avortement, est tout de même étonnant. J'ai avorté deux fois, à sept ans d'intervalle, et si je rédige un témoignage, si j'en parle sur un topic, je me surprends, de moi-même, à expliquer pourquoi ou comment ma contraception n'a pas fonctionné, en quoi c'était accidentel, et à me justifier. Et d'après les témoignages que je lis ce mécanisme s'applique toujours, on justifie toujours son avortement, on montre toujours que pourtant on avait été responsable.
Pourquoi ? Je viens témoigner de la manière dont j'ai vécu une IVG, personne ne m'a demandé comment j'étais tombée enceinte et pourtant je le précise, je l'explique. Parce que j'ai en tête, comme la majorité des gens, l'idée que l'avortement n'est pas anodin, qu'il est grave, qu'il peut être traumatisant, et qu'en arriver là parce qu'on n'a pas fait attention, c'est vraiment pas bien. C'est toute une représentation de l'IVG, toute une perception de la femme et de sa sexualité, qui est à l'oeuvre dans ce besoin constant de s'expliquer et de montrer que pourtant on a été raisonnable. L'avortement est une procédure médicale dont j'ai eu besoin, que j'ai été raisonnable ou non, que j'ai fait une bêtise ou pas, ne devrait pas entrer en ligne de compte et ne devrait pas être ressenti comme quelque chose qui amène à juger, à condamner, ce qui n'est finalement qu'une intervention médicale dont j'ai eu besoin. Je suis fumeuse, 85% des cancers du poumon sont dus au tabac d'après l'OMS, dans l'éventualité où j'ai un jour un cancer du poumon il y aura de très grandes chances que ce soit ma faute, que mon comportement nocif ou irresponsable l'ait engendré, et que mes frais de santé, à la charge de la sécu, soient dus à mon comportement. Et je me dirais sans doute que j'ai été conne de fumer, oui, mais je ne sentirais pas le besoin de me justifier face à la société, si je témoigne sur un forum à propos du cancer je ne me sentirais pas tenue de commencer par une explication de pourquoi j'ai fumé et de trouver des raisons à ce comportement, la société ne me culpabilisera pas et ne me renverra pas constamment au visage que c'est grave et que je suis irresponsable. Pour l'IVG c'est pourtant le cas. Si je poste sur un forum que j'ai avorté parce que "j'avais pas envie de prendre la pilule" (ceci est une hypothèse, pas une réalité - et ça aussi je me sens tenue de le préciser), ça provoquera un tollé et des réactions très émotionnelles, on me traitera de tous les noms et on me dira que je suis complètement irresponsable.
La réaction face à l'idée d'un "avortement contraceptif" est particulièrement violente. Pourtant, ce n'est pas une donnée, si elle est réelle, que nous pourrons changer. L'argument de l'avortement contraceptif n'en est pas un au sens où on ne pourra pas l'empêcher s'il existe à moins de fliquer toutes les femmes qui vont se faire avorter pour vérifier que ce n'est pas la huitième fois (et si ça l'est qu'est-ce qu'on pourrait dire ou faire ? l'empêcher d'avorter ? la mettre sous tutelle et lui faire prendre un contraceptif de force ? la stériliser ? Il n'y a aucune mesure respectueuse de l'être humain et de sa liberté, autre que l'information encore et toujours, qui puisse empêcher une femme de se faire avorter autant de fois qu'elle en a envie). Ou de faire payer l'avortement très cher pour "responsabiliser", avec cet argument qu'on ressort très souvent que payer quelque chose c'est être responsabilisé et qui à mes yeux n'a pas de sens : des moyens d'avorter "clandestinement", il y en a, des femmes qui peuvent se permettre de dépenser de l'argent pour avorter plusieurs fois aussi, on ne responsabilisera personne, on mettra simplement les personnes plus démunies en danger. Si on accepte l'idée que l'avortement contraceptif existe on constate vite que même dans cette hypothèse, on n'a pas de solution pour le limiter (si ce n'est le suivi psychologique, l'aide, l'information, mais si on part du principe que la fille qui choisit d'avorter à de multiples reprises est consciente de ce qu'elle fait et informée des alternatives - comme le disent pas mal de gens qui parlent de "l'avortement contraceptif" - ça tombe à l'eau).
A partir de là, à mes yeux, sortir l'argument de l'avortement contraceptif dans un débat sur l'IVG est quelque chose qu'il faut interroger, parce que ça ne fait pas avancer le débat (c'est un problème, s'il est réel, qui semble sans solution) ça démontre toute une conception de l'IVG, de la femme et de sa sexualité, d'une sensibilité face à l'avortement. Et quand nous y répondons, nous répondons toujours que ce n'est pas le cas de la majorité, qu'on peut tomber enceinte en utilisant une contraception, que c'est un mythe. En 2008, à peu près 9% des femmes qui ont avorté avaient déjà avorté trois fois ou plus (chiffre de l'INED, je n'ai pas de statistiques plus récentes parce que des statistiques aussi précises n'ont pas été fournies pour l'instant par le Ministère de la Santé pour les années suivantes - et je précise que j'ai additionné dans mon coin, ça fait dans les 9% je ne dis pas que c'est le chiffre exact). Dans ce chiffre il faut bien sûr compter les interruptions de grossesse pour raison médicale (elles représentent dans les 5% des avortements en 2008 ), les personnes mal informées, les raisons psychologiques, les problèmes de contraception (la majorité des avortements se faisant alors que la personne était sous contraception on peut supposer que c'est également le cas dans ce chiffre), l'hyperfertilité, et tout un tas de facteurs, à mon sens on ne peut pas pour autant parler d'avortement contraceptif. Mais les femmes qui avortent plusieurs fois existent et quand on répond en citant des exemples de contraception qui a échouée, en justifiant, en expliquant que c'est pas le cas de la majorité, on répond à côté à mon sens... Parce que la vraie question serait, à mon avis, pourquoi est-ce que ça choque tellement l'idée qu'une femme avorte plusieurs fois, qu'elle n'ait pas fait attention, pourquoi est-ce que c'est si culpabilisant, pourquoi on se sent obligé de trouver des excuses, alors qu'on ne le ferait pas pour une autre intervention médicale induite par des comportements à risque ?
A mes yeux ça montre que l'IVG a encore du chemin à faire en France, que ce n'est absolument pas considéré comme une intervention médicale "normale", que ça doit rester de l'ordre de l'exceptionnel, que ça doit, en quelques sortes, être excusable d'une manière ou d'une autre. Sans faire de parallèle pour autant, j'ai un peu le même sentiment quand je lis qu'on est opposé à l'avortement "sauf en cas de viol bien sûr" : on ne considère donc pas que l'avortement est un meurtre vu qu'on y est favorable dans certains cas, mais on estime là aussi qu'il doit quand même y avoir une raison valable, une façon de victimiser la patiente (sa contraception n'a pas marché, elle a été violée, le préservatif a craqué... dans tous les cas il faut que ce ne soit pas sa faute) qui justifierait le recours à l'avortement. Et voilà pourquoi j'ai voulu l'interroger et donc amener à faire tourner le débat autour de ça