Je tiens à dire en préambule que je soutiens toutes celles qui témoignent et participent au mouvement! C'est important qu'on puisse s'exprimer sur ce qu'on a vécu sans avoir honte, qu'on puisse se libérer d'histoires lourdes, comprendre qu'on n'est pas seules.
Par contre, il y a un truc qui me gêne dans le traitement médiatique de ce mouvement. J'ai mis du temps à comprendre quoi et c'est en voyant ce post Facebook que j'ai réalisé :
https://www.facebook.com/tsipi/posts/10156769669852729?pnref=story
L'auteur de ce post appelle à un "MeToo des hommes" (où ils reconnaitraient avoir agressé/harcelé à un moment de leur vie) en concluant "Parce que, je ne sais pas... les femmes disent "moi aussi" depuis un vraiment long moment maintenant et on entend toujours "mais ce n'est pas la plupart des hommes".
Et voilà, moi je suis gênée de voir tous ces journalistes en mode "oh la la que c'est surprenant, on ne s'y attendait pas" alors que non, désolée, ça n'a rien de surprenant, quand on prête un minimum attention à la parole des femmes, on le sait très bien. Je veux dire, même des trucs hyper mainstream genre le gouvernement, ELLE ou Buzzfeed nous balancent jour après jour des stats de femmes victimes de violence, on nous fait flipper avec le "1 femme sur 5 sera violée dans sa vie" (en mode "attention, ça risque de t'arriver!"), on nous agite le spectre du viol tout au long de notre vie, on nous dit quasiment à toutes de pas rentrer seules le soir et les journalistes font comme s'ils n'avaient jamais entendu parler du caractère hyper courant des agressions contre les femmes?
Et puis il y a ces journalistes hommes qui viennent faire leur leçon comme Raphaël Enthoven qui explique que c'est pas bien de dénoncer, tel autre mec qui appelle les femmes à témoigner comme si c'était notre devoir car "la société est prête maintenant" (ah bon?).
Ce n'est pas le premier mouvement du genre, et à chaque fois ils jouent les surpris. On parle de harcèlement depuis des années, les articles à buzz ont même traité à plusieurs reprises ce sujet, Paye ta Schneck est super populaire, il y a plein de pages Facebook à succès sur ce modèle pour différents métiers et pourtant, ils s'étonnent que tant de femmes soient concernées? Sérieusement, ils les préparaient comment leurs articles sur le sujet avant ce mouvement? Ils n'avaient pas lu les chiffres? Ils n'ont jamais vraiment écouté les gens qu'ils interviewaient?
Et je me demande même si dans 6 mois, ils se souviendront de la vague de Me Too qu'ils ont vu dans leurs pages?
Il y a quelques années, le Tumblr "Je connais un violeur" m'a ouvert les yeux, c'est probablement LE truc sur un réseau social qui m'a donné un déclic aussi subit. A force de lire les témoignages, j'ai compris le sens de "culture du viol" parce que petit à petit, j'ai réalisé que je connaissais plusieurs violeurs, que certains de mes proches avaient été violés alors que ni eux ni moi n'avions identifié ça comme un viol quand ils me racontaient l'histoire.
Les journalistes ont pourtant parlé de ce Tumblr, mais aujourd'hui, ils en font quoi de tous ces déclics et ces connaissances accumulés au fil des ans? Je veux dire, les mecs qui font le plus de boucan là-dessus à la radio ou à la télé, ils ont plus de 35 ans, ils ont carrément eu le temps de réfléchir à tout ça.
Et par rapport au Tumblr "Je connais un violeur" et au post Facebook que j'ai cité, ça me pose problème la manière dont le mouvement est "lu" par une partie des gens. Parce qu'on dirait vraiment que toutes les femmes ont été magiquement agressées par des fantômes ou des "racailles" (big up Emmanuel Macron qui affirme que le harcèlement a surtout lieu dans les quartiers difficiles en pleine affaire Weinstein), que les témoignages sont déconnectés du quotidien des lecteurs. Tous ces hommes qui découvrent avec émotion nos histoires sont tous tous tous innocents et n'auraient "jamais cru" que ça pouvait arriver avant.
Ben en fait, breaking news, ya de fortes chances qu'ils aient participé à ce climat hein. C'est pas une question de dire les mecs tous des connards mais franchement, quand je vois le nombre d'hommes que j'apprécie pourtant qui sont capables d'avoir des réflexions déplacées et de faire des blagues pesantes, en ma présence et sans même y voir le mal, j'imagine bien que leur comportement a affecté des femmes un jour ou l'autre. Et pour moi justement, un mec qui soutient vraiment les femmes, c'est celui qui est capable de dire "j'ai eu un comportement déplacé, je le comprends maintenant et je le regrette", pas celui qui nous "plaint" en faisant mine de découvrir le truc et en disant "oh la la la, ya vraiment des mecs tarés".
Même Eric Zemmour se saisit de #Balancetonporc pour critiquer Omar Sy, alors qu'Eric Zemmour est loin d'être un modèle de lutte contre la violence faite aux femmes...
"Je connais un violeur", c'était un électrochoc parce que c'était rare de montrer que tel mec sympa
peut être un agresseur. Moi j'ai réalisé que je connaissais des violeurs "très sympas", avec qui je m'entendais bien avec ce Tumblr (les ex de mes copines pour la plupart), et si on n'est pas capable de prendre conscience de ça, que nos agresseurs c'est la majorité des hommes, pas juste une petite poignée (puisque le MeToo c'est beaucoup plus large que le viol, ça concerne vraiment tout type d'agressions de la "blague salace" d'un supérieur à la main aux fesses en boite, et donc c'est bien la majorité des hommes), et qu'ils devraient se remettre en cause plutôt que d'être vexés, les femmes pourront parler tout leur saoul, rien ne changera jamais.
Là, il y a zéro remise en cause des hommes concernés et ça me met en rage.
Mais ce que j'apprécie vraiment dans ce mouvement c'est que ça donne de la force à certaines femmes connues de se battre et d'être soutenues dans leur combat, là où on les regardait avec un vague mépris avant, donc je compte sur elles pour porter le flambeau et nous pour appuyer leur combat. Certaines d'entre elles sont si féroces et combattives, ça me fait chaud au coeur, et je me dis qu'elles finiront peut-être par faire sortir les hommes du bois, leur faire réaliser que tel agresseur décrit ici, ça aurait pu être lui.
Ce mouvement embarque tellement de femmes peu sensibilisées à ces questions habituellement, que leur nombre va certainement renforcer les rangs du combat et permettre d'aller plus loin qu'avant.