J'ai voulu me faire cuire des oeufs durs, et la formidable cuisinière que je suis les a fait cuire à l'eau froide, au lieu de les plonger dans de l'eau bouillante. J'ai attendu vingt minutes pour rien, car au moment de les écailler, j'ai vu, horrifiée, le blanc tout visqueux, mi-mou mi liquide, et le jaune dessous filandreux, qui s'agitait frénétiquement en une semi-boule gluante. C'était ignoble, dégueulasse, et j'en ai même eu sur mes doigts, quelle sensation dégoutante, ça m'a provoqué un dégoût tellement fort que j'ai tout foutu à la poubelle (moi qui déteste jeter). J'en avais déjà peur avant de les faire cuire, j'avais peur de voir les oeufs ainsi, car je l'ai déjà vu et fait et bien c'est gagné, j'ai recommencé. Je n'ai jamais su faire cuire un oeuf dur. Les oeufs durs me rassurent. S'ils sont comme ce soir, ils me terrorisent. Bon, en bref, les oeufs et moi c'est une histoire particulière.
Et puis j'ai pensé à la poule qui les a pondus. L'angoisse est montée. Je me suis dit: "La pauvre, putain elle s'est fait chier à le pondre et toi tu le jète, connasse! Voilà ce que tu fais avec ce qui venait d'elle, ce qu'elle avait créé, avec la nature."
Je ne sais même pas si ces quatre oeufs étaient encore bons d'ailleurs. Je n'avais plus l'emballage. J'ai un énorme souci avec les dates de peremption et un rapport à la nourriture ambivalent (de toute façon, je suis ambivalente avec TOUT). Avec la nourriture cela se traduit par la peur absolue des conséquences sur mon organisme une fois l'aliment ingéré. Comme je ne vois pas ce qu'il se passe dans mon corps, j'imagine les pires choses (notamment, la prolifération, et surtout, la prolifération de choses). En parallèle, et complètement à l'opposé, je mange des aliments totalement périmés, en le sachant pertinemment. Du moment qu'il n'y a pas de moisissure, j'avale. Je refuse de jeter. Mon corps va l'encaisser, l'avaler, je le décide. C'est comme si je défiais mon corps: "J'ai peur de toi, tu es loin d'être résistant; par conséquent, je vais te provoquer pour te punir."