Mais qu'est-ce qu'il m'a pris d'aller lire ce foutu email datant de Mathusalem? Mon Dieu, c'était la dernière chose à faire, aller refoutre le nez là-dedans, plus de dix ans après. Je ferais mieux d'effacer tous ces mails, de peur que je veuille encore me refaire du mal avec le passé (c'est toujours très tentant). Bien que le choc est rude (se rencontrer dix ans en arrière, quelle rencontre dégueulasse!) etonnamment je me reconnais quand même dans mes écrits et je ne suis pas complètement attérée de ce que j'étais. Comme je vois, en revenant en arrière, combien j'ai grandi! Comme j'ai poli ce que je suis, aujourd'hui. Je me suis trouvé, je me suis travaillé, comme le sculpteur qui travaille la pierre, en la blessant, en la cassant, pour façonner ce qu'elle va définitivement devenir, tout en se défendant, elle se fragilise et reprend peu à peu de nouvelles forces. J'ai acquis une connaissance de moi aiguisée. Et tout cela à à voir avec les épreuves que j'ai vécues et surtout depuis deux ans, depuis ma tombée en "abîmes": je me suis révélée à moi-même, en vérité. J'ai mué. Je suis sortie de l'ancienne Roche. En accéléré, depuis deux ans. Depuis que je suis tombée dans le vide et que j'ai éclaté. C'est flagrant. Je me prefère tellement comme je suis aujourd'hui. Je suis enfin moi. Je me suis rencontré. il m'a fallu des années à accepter de me rencontrer, telle que j'étais. A m'apprivoiser. A ne pas me cacher de moi. A ne pas tricher. Et à mûrir, surtout! Il fallait que je mûrisse. Alors maintenant, il y a beaucoup de choses à travailler; ma pierre est bourrée de fissures et s'est recouvert de rouille et de vert de gris. Elle s'est effrité par endroits, et certains pans se sont même effondrés. Il faut la réparer, la revigorer, la rénover. Il y a un travail de longue haleine à continuer. Je suis salement amochée. J'ai même perdu le joli lustrant qu'on m'avait appliqué au tout début! Ô, mais de lui je ne m'en plains pas: Il a été le plus dur à décoller, le plus ancré! Il était incrusté en moi, et il me faisait tricher sur ce que j'étais. Il m'étouffait et j'en redemandais. Il a fallu m'en sevrer, m'en libérer, m'en extirper. Et aujourd'hui, je suis enfin une pierre nue. Sale, usée, déformée, mais vraie. Personne ne voudrait de moi, et je ne me suis jamais autant retrouvé. Je ne triche plus. Je sais enfin qui je suis! Il ne reste plus maintenant qu'à me reconstituer, me "reformer", me rapiécer, me restituer. Oui, me restituer.
Je me sens en vérité comme éclatée en mille morceaux. Je suis qui je suis, mais je ne sais pas par quel morceau commencer (...)