Shield;3419923 a dit :
Spiracle: Justement, je suis pas sûre qu'on soit à même de savoir ce que c'est "perdre" ou "gagner", je comprends ton point de vue, mais je crois qu'on peut aussi se dire qu'on ne sait pas si l'enfant sera heureux en dépit de tout, et puis je sais pas, j'imagine qu'une personne qui vit dans le confort financier, qui désire avoir des enfants mais qui peine à en avoir, pourrait vouloir un enfant (même trisomique) sans compter les dépenses et l'investissement que ça demande si cette personne pense que l'enfant peut être heureux malgré la souffrance physique.
Personnellement je sais pas si tous les trisomiques 21 sont malheureux et je sais que beaucoup de gens qui ne souffrent pas de trisomie 21 le sont, même s'ils souffrent peut-être moins et qu'ils n'ont pas besoin d'être hospitalisés.
Bref, je sais pas, et c'est pour ça que le critère qui fait la différence pour moi, c'est : qu'est-ce que je veux, pour moi? Et je ne veux pas avoir un enfant (tout court) et si j'en voulais un, je ne voudrais pas qu'il soit trisomique, parce que ça demanderait beaucoup de temps, d'argent, d'investissement moral et émotionnel (face à la souffrance dont tu parles, face aux moqueries, face à la difficulté d'intégration), de sacrifices, et que je ne serais jamais prête à ça.
J'ai employé les termes "perdre" et "gagner" dans une métaphore, à prendre donc avec un certain recul. Je ne pense pas qu'on puisse parle de défaite ou de réussite quand on parle d'une vie mais plutôt d'évolution ou d'apprentissage, que cette évolution soit dite "négative" ou "positive". Une évolution considérée comme régressive peut s'avérer positive, que ce soit dans l'évolution des êtres vivants ou dans un domaine plus restreint comme la vie d'une personne X vivant dans un lieu Y à un moment Z.
J'ai l'impression que malgré l'évolution des mentalités, la conception d'un enfant reste une chose sacrée. On "sacralise" le foetus. "Si le hasard en a décidé ainsi, il faut l'accepter". Je voudrais quand même insister sur le fait que malgré la société, la culture, les moeurs que l'être humain a mis en place, la fonction primaire d'un être vivant est de vivre en bonne santé jusqu'à pouvoir procréer. Un foetus doté de malformations pourra certes être heureux, parce que le bonheur dépend de variables externes et non de son organisation moléculaire et cellulaire, mais cette organisation, si elle est foireuse, ne lui permettra pas d'avoir une vie, au sens purement biologique et physiologique, normale, calme, et heureuse. Je ne sais pas pourquoi on place "l'esprit sain" (=le bonheur mental) avant "le corps sain" (et c'est ce qui se passe dans ce débat, on se dit que malgré que le corps sain ne soit pas accessible, on peut arriver au bonheur). C'est une jolie pensée à laquelle j'adhère profondément pourtant, quand l'être est déjà né, déjà vivant. Si je mets au monde un enfant diagnostiqué par erreur sain avant sa naissance, doté d'un demi-poumon, retardé mentalement, avec un syndrome de Down et vingt-quatre orteils, je considérerai qu'il peut arriver au bonheur malgré son lourd handicap physique et je ferai tout ce qui est mon possible pour qu'il considère sa vie comme étant complète. Je pars du principe qu'on vient au monde avec un capital X et que ce capital est considéré comme diminué quand il est au stade X moins quelque chose, et pas parce que X est moindre que Y, le capital du voisin.
Mais quand l'enfant n'est encore qu'un amas de cellules, un foetus que je sais atteint d'une maladie qui attaquera son corps violemment, je ne me sens pas le droit d'avoir l'égoïsme de donner la vie à un être qui n'arrivera jamais à atteindre une paix corporelle. Je considère que donner la vie à un enfant qu'on saura atteint de multiples malformations est une sorte d'égoïsme. Oui, le bonheur sera possible pour l'enfant, malgré tout. Mais qu'est-ce qu'un foetus quand il n'est pas encore né, quand il est dans le ventre de sa mère ? On ne sait pas. On ne fait qu'extrapoler. On pleure quand il meurt à la naissance. On donne un nom à une chose qui n'a jamais eu d'existence véritable. Et l'enfant ? L'enfant dans tout ça ? Qui était-il, cet enfant qui n'a jamais vécu ? Qu'est-ce qu'on pleure, véritablement ?
C'est peut-être insensible, je ne sais pas. Mais je trouve égoïste de transformer une chose qui n'est encore "rien" (considérer que l'enfant n'est rien tant qu'il n'est pas né est un point de vue personnel) en un être vivant quand on sait que sa survie sera dure. Heureuse, peut-être, mais dure. Alors que la technologie médicale permet d'arrêter le développement embryologique et de recommencer le projet, pour que la répartition des chromosomes soit plus favorables corporellement. Qu'on puisse transformer un nouveau "rien" en un être vivant dont la survie sera certes aussi dure, mais dont la dureté proviendra "uniquement" du système extérieur et non de l'intérieur de son propre corps en plus. Personne n'est équitable, mais on pourrait au moins essayer de faire en sorte que tout le monde ait le même "ennemi" : le monde extérieur, et juste le monde extérieur. J'insiste lourdement : notre tête, notre cerveau fait la personne que nous sommes. Notre corps est un support. Je suis tellement plus favorable à donner la vie à quelqu'un qui ne pensera pas comme moi parce que sa tête fonctionnera différemment qu'à quelqu'un qui devra traîner une machinerie mécanique défaillante... Je sais pas si je suis très claire à ce sujet-là...
Je ne veux pas d'enfant, pas pour le moment, parce que je suis sûre que j'essaierai inconsciemment de leur inculquer des choses que j'aimerais leur voir acquérir mais qui ne sont pas, à mes yeux, des valeurs indispensables. Je sens que je les façonnerais trop, et j'aimerais que mes enfants façonnent leur personnalité eux-mêmes. J'inculquerai des principes moraux, de l'éducation, mais pas ce qu'ils aiment, ce qu'ils n'aiment pas, la manière dont ils pensent. Mais si un jour je me retrouve enceinte, par erreur, d'un enfant atteint par exemple d'une trisomie, j'aurais aussi envie de montrer au monde entier qu'il peut être un enfant heureux, comme tout le monde. J'aurais envie d'être bonne, gentille, de partir en croisade et de faire de lui un être vivant capable d'évoluer dans le monde. Alors que je ne veux pas d'enfant. Au fond de moi, le voir heureux me rendrait heureuse. Me battre pour lui me rendrait "heureuse". On est humain, on va vouloir aider celui qui souffre. Alors qu'on aurait pu l'aider bien avant, en ne lui donnant pas la vie.
J'ai écrit un pavé, je suis désolée. Il y a probablement des choses qui ne plairont pas, notamment cette idée que l'enfant n'est "rien" tant qu'il n'est pas né, ou cette manière trop pragmatique de voir les choses. Je suis profondément humaine, je le précise parce que c'est important, je suis quelqu'un qui peut remuer le ciel et la terre pour quelqu'un ou quelque chose, je mets le bonheur des autres avant le mien (probablement parce que le bonheur des autres me rend heureuse -c'est donc très égoïste), je suis optimiste, rien n'est fini avant d'être terminé, je suis dotée de sentiments, de sensibilité. Ne me jetez pas la pierre parce que vous avez l'impression que je suis un robot froid et mécanique. Je ne suis pas un robot froid et mécanique. J'essaie juste d'être objective quand la situation le permet, et là, selon moi, elle le permet (c'est à nouveau un avis personnel).