Yaaaa.
J'ai mis une robe, chose qui n'arrive jamais. Je suis pas à l'aise au féminin. Mais j'adore celle-ci. Ma mere est d'accord, elle me va bien.
À table, avec mon frère venu en visite, elle me demande si elle existe en rouge, foncé. Mon frère dit en rigolant ou en rose (il sait que je n'aime pas), ma mère répond premier degré : non, rouge foncé, il faut du foncé, le clair ça grossi.
J'ai pris ma respiration, et j'ai balancé poliment d'une traite :
- NON. Laisse vivre mon gras, il a le droit au bonheur aussi.
- une gaine alors ?
- mais non ! Je vais voir s'il y a d'autres couleurs mais je crois pas. Ça me plairait mais j'en ai pas vu. Je crois pas parce qu'ils font peu de robes de couleur quand t'es grosse parce qu'on nous rabache de moins empieter sur l'espace et donc porter du foncé. Je ne suis pas laide parce que je suis grosse. Je suis juste grosse, et en robe. Et oui, y a des bourrelets, et bah ça me va très bien, je les porte avec classe. Je veux dire on s'en tape de ta circonférence, ce qui compte c'est que tu sois bien dans ta peau, que tu sois joyeuse, charismatique, et ça cest pas le gras qui t'empechera de l'avoir. C'est les commentaires désobligeants, ceux qu'on donne pour t'aider mais qui t'enterrent. Et le pire la dedans c'est que tu me dis ça pour m'embellir alors que ça vient d'une personne qui s'est toujours détestée et ne s'est jamais assumée physiquement. Quels conseils aurais je à recevoir de toi ? Tu me disais de décolorer mes poils de bras, de pas mettre des vêtements moulants, qu'il fallait pas être épaissi, mais tu t'habilles qu'en noir alors que tu détestes ça, juste pour éviter les couleurs. Et tu mets jamais de robe en public parce que tu te supportes pas. Vis ton corps, vis tes complexes, mais ça te donne aucun droit sur le mien. Je suis bonne, c'est tout !
Et je suis partie voter sans collant, poils de grizzli apparents.
C'est la première fois que je me défends, que je dis ce que je pense sans l'adoucir, sans la protéger, ça fait trop de bien. Je me suis vraiment sentie bien avec moi-même, des années de travail pour un résultat qui réchauffe le coeur. Tout ça s'est passé en souriant, j'étais même pas mal énervée car je savais que j'avais raison. Surtout sur les conseils donnés depuis l'enfance. Mon frère a acquiescé, il m'a soutenu sur le fait de porter ce qu'on veut, de la couleur, des motifs, que l'important c'était de s'aimer pour pouvoir les assumer et que c'était dur, de libérer sa joie de vivre malgré les injonctions. Ma mère n'a pas mal pris ma réponse enflammée, en fait elle a fait un grand sourire et elle n'a rien dit. Je pense que ça doit lui faire plaisir de voir que j'ai dépassé ce qu elle avoue n'avoir pas pu surpasser en soixante ans. Avant j'osais pas lui rentrer dedans, soit j'incorporais, soit j'étais pas d'accord mais je le disais pas, maintenant je la vise car ça la remet personnellement à sa place. Je faisais ça pour pas la blesser, finalement elle est aussi victime du patriarcat, sauf que la remise en question ça existe. Et si en soixante ans elle n'a pas réussi, je considère qu'elle a sa part de responsabilité. Comme tu as ta responsabilité en tant que mère dans les encouragements à tes enfants à s'accepter plutôt qu'à les dénigrer et minimiser l'impact de tes mots.
Je me suis rendue compte de ça grâce au topic madmoizelle sur Theysaid. Que la plupart du temps c'étaient les gens complexés eux-mêmes qui n'envisagent pas que les autres puissent ne plus en avoir, que ça vient forcément d'un manque de conscience ("tu te rends pas compte", ou à propos de la même robe : "le problème c'est qu'avec tes grosses fesses, tes robes remontent toujours trop"), ça peut pas être un choix volontaire.
Je lui disais l'autre jour que mes frères n'avaient jamais reçu des conseils pour s'habiller, moi j'ai eu le droit au maquillage, rouge à lèvres, au t shirt. Ne pas mettre de t shirt car ça moule ma poitrine et c'est normal que les hommes tentent leur chance. Et là encore, il semblerait que mon corps soit un objet public qu'on se permette de commenter et d'habiller comme une poupée.
Je vais plus rien lâcher, j'en ai marre de la conforter pour pas la blesser, d'autant plus que c'est utilisé avec le fameux second degré qui n'en est pas, et que donc elle joue à fond la carte que je suis trop premier degré. C'est pourtant trop récurent dans sa bouche pour qu'il n'y ait pas un réel surinteret pour mon apparence.
Je pense que ce message parlera à quelques unes d'entre vous, courage, une fois qu'on a sauté le pas, tous ces mots semblent dérisoires car vous savez que la personne que vous êtes vaut le coup. Et comme je disais à ma mère tout à l'heure : cette robe je l'aime malgré mes bourrelets. Non. Je l'aime avec !