@Denis Je ne comprends pas quels sont ces éléments "d'info" dont tu parles. Quatremer nous refait l'inventaire des poncifs du dédouanement islamophobe français, à base de worddroping menaçant comme "communautarisme", "tribunal islamique", "scientologie", "KKK", "relativisme culturel".
Que nous dit Quatremer dans sa tribune :
1. "
les USA ont des choses à se reprocher" ou "
mais euh pourquoi nous les autres ils font pire euh" : Quatremer nous apprend donc qu'aux USA la liberté sexuelle n'est pas acquise, qu'un candidat à l'élection présidentiel tient un discours fasciste et xénophobe, et que les étatsuniens noir-e-s vivent de nombreuses injustices. Et donc qu'à ce titre, un quotidien étatsunien n'aurait pas à donner de leçon à la France (donner la parole à des françaises vécu comme donner des leçons,
ou quand la parole féminine est une provocation). A ce petit jeu on pourrait répondre que la France ne se prive pas de donner des leçons à son tour, alors que la condition des français-e-s noir-e-s et racisé-e-s en général n'est pas particulièrement glorieuse, mais pour ça il faudrait que Quatremer admette d'écouter ce que les français-e-s racisé-e-s ont à dire (retour à la case départ). La part sur le militarisme étatsunien et anglais est presque drôle dans un contexte où on nous explique qu'on va lutter contre le terrorisme et l'extrêmisme religieux
en bombardant des civils syriens, et où la France s'enrichit en vendant des armes à ses amis saoudiens (les mêmes saoudiens qu'on prend en exemple pour persécuter les français-e-s musulman-e-s ici). Et je ne parle pas de la Françafrique et des perfusions financières assurées par un interventionisme constant. Bref on est complètement dans le dispositif de dédouannement, éhonté et chauvin.
2.
le voile c'est l'extrêmisme : il y a une résilience incroyable des médias français-e-s à entretenir un climat de violence contre les musulman-e-s sans avoir l'air d'y toucher, en condamnant du bout des lèvres (ou en s'y vautrant complètement façon donnons tribune libre à Zemmour ou à Ménard). Laurence Rossignol encore ce matin nous raconte que le burkini est
un tract, un document de propagande. Mais est-ce que ces gens ont une responsabilité citoyenne ? Est-ce qu'illes ont une conscience ? Mais c'est ça qui est bien avec le système islamophobe qui est en place, c'est qu'entre les commanditaires et les exécutants, il est impossible de prouver le lien.
Ça commence par un discours politique, en associant l'islam politique au terrorisme.
Puis d'autres discours associent le burkini et le voile à l'islam politique. Donc voile = terrorisme, ça s'appele
la relation de Chasles.
Puis on présente le voile comme atteinte à la laïcité, et comme atteinte au féminisme d'Etat, puisque acte militant religieux.
On fait feu de tout bois pour construire une image unilatérale d'un islam misogyne et sexiste.
Puis on attaque ceux qui parlent d'une atmosphère islamophobe, on attaque les mots (mais oui passons encore quelques années à débattre du terme "islamophobie"), on attaque les militants, on lâche des formules toutes faites comme "relativisme culturel", "multiculturalisme". On fustige les bobos bien penseants, les "
islamo-gauchistes", les "
racialisateurs".
Et puis enfin on arrive au vif du sujet, on légifère : puisque le voile est un acte militant religieux, on l'interdit de la fonction publique.
Puisque c'est un acte anti-laïcité, un soutien au terrorisme,
on est légitime à l'interdire à la plage.
Et quand ces arrêtés anti-burkini sont annulés, victimes d'une politique de bobos bien pensants islamo-gauchistes, excusant tout au prétexte d'un relativisme culturel, alors on prend les choses en main soit-même, on arrache les voiles dans la rue,
on empêche d'entrer dans l'école de ses enfants, on donne des leçons de féminisme à la caisse du supermarché,
on crache sur les femmes qui portent le voile, on les frappe.
Et bien sûr, de la part de celles et ceux qui continuent à présenter le voile comme signe de l'islamisation de la société, on condamnera à nouveau ces arrêtés ou ces violences,
tout en leur donnant tout de même une légitimité.
Ce qu'on retient de cette levée de bouclier à laquelle participe Quatremer,
c'est que la dénonciation de l'islamophobie ne sera pas tolérée. Le fait de donner la parole aux femmes musulmanes, celles là même qu'on prétend pourtant vouloir défendre en nous bassinant H24 sur le hijab comme summum du patriarcat, est une
faute qui doit être contrée de toutes parts. Il est vrai qu'il est plus facile de déterminer les termes de la libération
quand on a pas à écouter ce que les personnes qu'on libère ont à nous dire. Mais Quatremer va plus loin, puisqu'il traite même les Français-e-s d'idiot-e-s ("
les Français qui se sont réjouis de ces critiques n’ont pas mesuré à quel point le modèle britannique et américain est différent du nôtre, un système dont ils ne voudraient par ailleurs à aucun prix"). D'après son texte, seul Quatremer
sait pour nous ce dont on doit se réjouir, et ce qu'on doit condamner, et les Français-e-s qui se disent "ah tiens on est pas totalement fous en fait, il y a peut-être bien une islamophobie française", sont forcément en train de tomber dans un piège tendu par un modèle anglosaxon "communautariste" (c'est le mot à la mode de 2016, surtout si placé à moins de 5 mots de "laïcité").
L'article du NYT fait ce qu'aucun média mainstream n'a fait jusqu'à présent : s'engager clairement dans la dénonciation d'un glissement islamophobe à tous niveaux de la société française, sans tergiverser, sans pinailler sur les termes, sans jouer au "et la semaine prochaine on vous parlera à nouveau de comment l'islam politique gagne du terrain".
Et les réactions de la presse et de Manuel Valls montrent comme il fait mouche. Rattrapage pour les uns, avec appels à témoignages, ou émissions télés pour parler d'islamophobie, et attaque en règle (ou d'ailleurs pas tellement en règle,
à base d'approximations, de diffamation et d'erreurs) pour les autres, avec tribunes ou articles comme celui de Quatremer. Culpabilité d'un côté d'avoir contribué à légitimer des comportements islamophobes derrière le prétexte de pouvoir critiquer la religion, et égo piqué de l'autre, pris la main dans le sac du
petit commerce de la haine, souvent à des fins électoralistes ?