J'ai vraiment du mal à intervenir sur les articles "éducation" de Madmoizelle, tant je les trouve orientés vers une critique systématique de l'école publique et de ses principaux acteurs, à savoir élèves et professeurs... Je finis par me dire que chaque intervention d'un enseignant du public va passer pour du corporatisme bête et méchant.
Si l'on ne prend que le début de cet article :
- déjà, l'image choisie : un travail écrit où rien n'est souligné, sans aucune annotation ... mais sanctionné par un 6/20 lapidaire, écrit en rouge, sans commentaire ... Arbitraire et traumatisant, en somme. Effectivement, si noter c'est ça, "les notes ça craint".
- puis les premières lignes de l'article :
"
Comme beaucoup de gens, j’ai
très mal vécu ma scolarité au collège et au lycée. Certains professeurs me trouvaient un peu stupide,
me parlaient lentement avec la tête penchée comme si j’étais un cas désespéré."
Donc, la scolarité de "beaucoup de gens" est "très mal vécue" dans le système public, notamment parce que "certains professeurs" prennent leurs élèves pour des débiles finis. Euh, c'est un témoignage personnel comme l'annonce l'introduction, ou une généralité?
Finalement, quand on lit l'article, on retrouve ce que je reproche aux derniers "articles éducation" :
- toujours le point de vue d'un élève / ancien élève, avec l'argument : "on ne m'a jamais donné la parole dans ce système étouffant, et aujourd'hui j'ai suffisamment de recul pour pouvoir dire que l'école publique est ... "
En fait, et c'est bien le problème des questions d'éducation, tout le monde y va de son avis parce qu'il a un jour été élève, mais aucun tri n'est opéré, de sorte que le témoignage de n'importe qui peut finalement passer pour une analyse valable du système éducatif français et de ses problèmes.
Attention, je n'ai absolument pas dit que ces témoignages n'avaient pas droit d'exister ! J'essaie juste d'expliquer pourquoi les enseignants ont l'impression de s'en prendre plein la figure, de tous les côtés, par n'importe qui : élèves, parents, journalistes, ministre (^^), gens lambdas dans la rue... Tout le monde s'arroge le droit de juger notre métier, et souvent de façon sévère : harcèlement, incompréhension, manque d'écoute, fainéantise et j'en passe.
- la promotion de systèmes alternatifs, comme Montessori ou Steiner, très à la mode aujourd'hui, et dont les fonctionnements font dire à la plupart des gens : mais enfin pourquoi l'école publique n'est pas comme ça ?
Une des raisons est assez évidente, et elle n'est pourtant quasiment jamais mentionnée dans les témoignages, car ils proviennent d'élèves, et non de ceux chargés d'organiser et de financer ces écoles : ces systèmes coûtent très cher.
Bien sûr, on aimerait tous avoir des classes à 12 élèves, beaucoup de matériel, la possibilité de faire plein de sorties... Si l'on veut étendre cela à tous les élèves, à toute la France, imaginez le budget ! Ou alors, on fait payer les parents, et c'est ce qui se passe aujourd'hui, puisque le public de ces écoles alternatives est un public privilégié pour la majorité.
Dans l'école publique, quand vous voulez un rideau dans votre salle de cours, on vous répond "Non, on n'a pas le budget.". On comprend tout de suite mieux pourquoi on a 30 élèves par classe. Et à côté de ça, le Ministère promet des tablettes à tous les élèves, à grand renfort de com'. Super, c'est la vraie priorité de l'école publique
- dans les derniers articles, collège et lycée riment avec harcèlement, à tel point qu'on a l'impression que les élèves du public sont des ptits cons ou des monstres, et que les quelques moutons noirs ne trouvent leur épanouissement que lorsqu'ils ont fui l'Education nationale (pensez à la promotion récente de l'école à domicile).
Oui, le harcèlement scolaire est une douloureuse réalité, mais pitié, ne résumez pas l'école publique à cela !
- Quant à l'hommage peu discret rendu à notre Ministre en fin d'article, et qui ne s'appuie que sur sa com' bien huilée... No comment, ça vaut mieux.
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Alors oui, j'ai écrit un pavé qui n'aborde même pas encore la question des notes, mais c'est justement parce qu'il me semble que cet article est avant tout une critique virulente de l'école publique, plutôt qu'une réflexion autour de l'évaluation.
Concernant les notes :
1) Comme beaucoup l'ont déjà fait remarquer, on nous incite de plus en plus à supprimer les notes, ou en tout cas à passer à un système d'évaluation par compétences. Les devoirs en classe doivent présenter un barème détaillant les compétences censées être atteintes, et que l'élève a normalement acquises durant les heures de cours.
Donc le coup du 6/20 balancé en fin de copie, sans aucune remarque = bonjour le cliché ! Je ne dis pas que ça n'existe plus, mais enfin c'est vraiment du mépris pour le travail et l'implication de la majorité des enseignants.
2) L'autre grand chantier concerne la "pédagogie différenciée", c'est-à-dire la prise de conscience de la différence entre les élèves : on ne doit pas chercher à faire atteindre le même niveau à tous les élèves en même temps, il faut prendre en compte le parcours et le profil de chacun.
Et c'est là que le bât blesse : vous l'imaginez comment, la pédagogie différenciée, quand vous êtes un seul enseignant pour 30 élèves ? On fait quoi, on se coupe en 30 ? On prépare pour chaque heure 30 cours et 30 contrôles différents ?
Notre Ministre a longuement fait la promotion des heures d'"aide individualisée" mises en place par la réforme du collège, mais elle n'a pas tout expliqué : ces heures se font...en classe entière ! Elles peuvent se faire en demi-groupes, ou avec plusieurs professeurs, si l'établissement trouve les sous pour payer ces heures et ce personnel supplémentaire...Ah, toujours l'argent ! Autant dire que la majorité des heures d'aide personnalisée se font en classe entière, avec un seul enseignant pour 25 à 30 élèves. Donc, enseignement personnalisé dans le public = en classe entière, faute de moyens. Et si ça ne marche pas, on pourra toujours rejeter la faute sur ces enseignants pas assez volontaires. C'est vrai quoi, on pourrait couper chaque classe en 4 groupes et faire les heures supplémentaires bénévolement !
Enseignant, le seul métier que tu n'es pas censé faire pour de l'argent, dixit NVB. Par contre, je doute que son travail de Ministre soit bénévole...
3) Un système boîteux, qui nous fait travailler deux fois plus pour faire comme avant
Oui, un grand nombre d'écoles primaires ne travaille plus avec des notes. Le collège commence à s'y mettre, le lycée y sera bien forcé à son tour. Pourtant, le Bac reste le sésame pour accéder aux études supérieures...En somme, des examens avec des notes sur 20.
On aboutit alors à cette situation ubuesque où on nous demande d'évaluer selon un certain système (couleurs, acquis/ en cours d'acquisition/non acquis, ceintures, etc.) , mais on rétablit quand même les notes à la fin. Donc, un double travail pour les enseignants ; des élèves (et des parents !) qui demandent toujours à quelle note chiffrée correspond tel ou tel résultat non chiffré.
4) La culture de la note
Comme l'ont dit certaines Madz au-dessus, changer le paradigme ne change pas nos réflexes, et les élèves continuent d'être obsédés par la comparaison avec autrui. Ils veulent savoir où se situer par rapport à la classe. C'est une attitude encouragée par les parents, et par la société tout entière, dans tous les domaines. Il faut être performant, montrer qu'on a obtenu des résultats : maintenant, même quand on fait son jogging du dimanche, on ressent le besoin d'afficher sur Facebook ou Instagram les kilomètres parcourus et le temps qu'on a mis ...
Certes, le changement peut commencer à l'école, mais c'est à l'échelle de la société tout entière que le changement de modèle doit avoir lieu. L'école publique ne peut pas être responsable de tous les maux, alors stop aux jugements à l'empote-pièce de la part de M. Tout-le-monde.
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Conclusion pour ma part : oui, il y a plein de bonnes choses dans les systèmes alternatifs type Montessori ou Steiner, mais on ne pourra jamais les mettre en place sans moyens financiers, avant même de penser pédagogie. Sinon, cela restera réservé aux privilégiés.
Quant aux notes, Madmoizelle devrait se renseigner davantage sur ce qui se pratique déjà dans l'école publique, où il y a certes encore beaucoup de choses à améliorer, mais où beaucoup s'investissent pour que ça aille mieux, et pour que la scolarité ne soit pas vécue comme des années de souffrance ou d'apprentissages absurdes...Ce qui vaut pour les élèves comme pour les professeurs. Nombreux sont ceux qui trouvent leur métier de plus en plus inutile, vidé de son sens, dévalorisant et dévalorisé. Les enseignants aussi vont mal, vous savez.
Et par pitié, adressez-vous parfois aux enseignants et lâchez la com' de la Ministre !
Bref, je m'arrête là et vais me faire une tisane