Bonjour,
J'entends bien les commentaires des profs ci-dessus, et c'est vrai que ce serait intéressant que vous témoigniez sur ce qui a changé avec les dernières réformes. Par contre, vous dites toutes que la suppression des notes ne règle pas les problèmes, et je suis plutôt d'accord. Je vais essayer d'expliquer ça sans vexer personne, car c'est un sujet hyper important, et ce n'est pas en jetant la pierre aux profs qu'on va avancer.
Je ne suis ni prof ni élève, mais j'ai un enfant, alors je me sens du 3e côté de la barrière.
Tout d'abord, je pense qu'on est tous d'accord pour dire qu'il y a beaucoup à améliorer dans l'école publique. Les profs épuisé-es (vous êtes plusieurs à l'avoir rappelé), mal considéré-es, pour un résultat vraiment pas satisfaisant (40% des enfants en grande difficulté au collège). Je ne suis vraiment pas en train d'insinuer que les profs font mal leur boulot. Mais je pense qu'on leur demande de se battent contre un tsunami avec un parapluie percé.
Les notes ne sont qu'un des outils qui (selon moi) déconnent dans ce système. Car derrière les notes, on a la compétition et la recherche de l'approbation de l'adulte.
Désolée pour celles que ça saoûle, mais je vais reparler de Céline Alvarez et de Montessori. Céline Alvarez explique très bien (et c'est prouvé par les neuroscience) que l'enfant n'a PAS besoin de rechercher l'approbation de l'adulte. Il a son propre système de gratification intérieur. Il est poussé par un élan puissant d'apprentissage (surtout dans la petite enfance, mais ça continue en primaire) qui lui fait essayer, réessayer encore et encore quelque chose, jusqu'à la maîtriser. Le problème de la note, c'est qu'elle va venir sanctionner cette pulsion : tu n'as pas bien fait, et moi l'adulte je te juge. Du coup, à force, l'enfant va perdre son système de gratification intérieur, et ne plus se reposer que sur l'approbation des adultes : je ne fais pas pour moi, je fais pour être félicité. C'est très pervers, car en tant qu'adulte on a envie d'encourager un enfant qui essaye, et de le féliciter quand il réussit. Mais c'est une erreur. On peut néanmoins partager sa joie quand il a réussi.
Je le vois bien en tant que parent, ça commence hyper tôt : quand mon bébé réussit quelque chose (mettre un cube dans une boîte) puis qu'il cherche mon regard, les gens autour de moi disent «Oh, il cherche ton approbation !». C'est faux ! Je le sais, car je le connais bien. Il s'en fiche de mon approbation, par contre c'est vrai qu'il cherche souvent ma complicité, partager sa joie avec moi. Tout ça pour dire que ce cliché commence hyper tôt.
Là où c'est grave, c'est quand on devient en grandissant incapable de fonctionner autrement. Personnellement, j'étais très bonne élève, et j'ai rencontré des difficultés monumentales dans les études supérieures, pour auto-évaluer mon travail, puis encore maintenant, en tant que free-lance. J'aimerais toujours avoir ma maman qui se penche sur mon épaule et me dise : «c'est génial ce que tu fais.» J'ai cessé de montrer ce que je fais à mes amies, car quand elles avaient des critiques (même constructives), je mettais des semaines à retrouver confiance en moi. Ça m'handicape vraiment.
Deuxième défaut des notes : la compétition. Céline Alvarez dit que dans sa classe (sans notes et sans évaluation par les adultes), les enfants ne se sentaient pas en compétition mais en émulation. Les grands aidaient les petits, les petits s'inspiraient des grands. Je la crois quand elle dit que la compétition ne doit pas obligatoirement être aussi forte qu'elle l'est actuellement dans la société (et dès le plus jeune âge). C'est toute notre société, en manquant de bienveillance, en encourageant l'individualisme et la comparaison entre les individus, qui crée ce climat si malsain. Si on met des enfants d'âges variés dans une classe et qu'on les laisse choisir chacun son apprentissage, ils vont s'épanouir dans des directions différentes, et la compétition n'a pas lieu d'être. Mais les notes (ou les smileys, ou les points rouges, ou les «acquis / non acquis») viennent ruiner ça.
Comment savoir si l'enfant a acquis un savoir, alors ? Dans le système Montessori, les activités sont auto-validantes. Par exemple : un enfant s'entraîne à faire des additions avec des rangées de perles. S'il se trompe, les perles lui indiquent son erreur. Il n'y a jamais besoin d'un adulte pour dire «c'est bon» ou «tu t'es trompé». Et ça marche avec tout le matériel Montessori, et c'est pour ça que cette dame était vraiment un génie.
Je me rends bien compte qu'un tel système pourrait être frustrant pour les parents («alors, il les fait ses additions ou pas ?» «eh bien demandez-lui !»). Et encore plus frustrant pour notre administration en mal de systèmes d'évaluation. J'imagine la galère pour les profs forcés de transformer une réalité toute simple (Untel sait lire, il va prendre des livres dans l'étagère et les dévore) en évaluation pour un système informatique qui réclame de pouvoir trier, classifier, donner un classement des établissements…
J'entends les Madz qui disent que ça coûte cher, que c'est pas possible d'étendre ça à tous les enfants de France. Oui, ça coûte cher, le matériel Montessori. Pas possible ? C'est une question de choix politiques. Est-ce qu'on préfère s'acharner dans un système scolaire qui laisse plein d'enfants sur le carreau, malgré tous les efforts des profs obligés de travailler avec des bouts de ficelle ? Pendant que plus de 50 milliards d'euros sont planqués dans les paradis fiscaux ? Hmm ?
On parle de l'éducation de nos enfants, merde ! On parle de la construction de l'avenir. On parle de libérer les potentiels inconnus de tous ces petits cerveaux, ou au contraire de les contraindre, de les assécher, de les humilier en les pénalisant pour leurs erreurs, encore et encore, jusqu'à ce qu'ils deviennent de bons petits consommateurs incapables de réfléchir par eux-même, du «temps de cerveau disponible» pour TF1.
Donc oui, je suis contre les notes, mais je suis aussi contre tout système d'éducation qui nie les besoins fondamentaux des enfants (et désolée, mais passer 7h par jour assis derrière un bureau avec 30 gamins de son âge, c'est nier les besoins fondamentaux). J'entends les Madz qui disent que ça change, tout ça, et je trouve ça super ! Et j'espère vraiment qu'on va aller plus loin, et qu'on ne va pas se laisser arrêter par de bêtes arguments d'argent (c'est une question de choix) ni de traditions.