Ben moi, depuis que j'ai commencé mon internat de psychiatrie, je me pose une question : où est la limite entre "personne complotiste/conspirationniste" et "personne délirante nécessitant des soins psychiatriques" ?
Je vois beaucoup de patients tenant un discours délirant sur différents thèmes, et notamment, une certaine part sur le thème complotiste/conspirationniste. Et autant dans le cadre d'une schizophrénie (où le délire est majoritairement très désorganisé, confus, souvent sur plusieurs thèmes, et accompagné d'autres symptômes flagrants) c'est facile de voir qu'il y a une pathologie à traiter, autant dans le cadre de ce qu'on appelle trouble délirant persistant (un seul thème, par exemple conspirationnisme/jalousie conjugale/persécution, et là le délire est plus cohérent, plus construit et argumenté, et peu d'autres symptômes ou alors bien contenus par le patient) c'est plus compliqué...et donc il est possible de passer à côté, nous soignants mais aussi l'entourage.
Et des patients diagnostiqués "trouble délirant persistant", j'en ai vu plein qui, après traitement, se rendent bien compte qu'ils étaient délirants...alors comment savoir si une partie des conspirationnistes ne sont pas atteints d'un délire pathologique ? Qu'est-ce qui distingue les deux finalement, simplement leur accès aux soins psychiatriques ? Vraiment ça me questionne.
La définition médicale de délire c'est "conviction inébranlable, inaccessible au raisonnement ou à la contestation par les faits : évidence interne, plausible ou invraisemblable, généralement non partagée par le groupe socio-culturel du sujet", alors est-ce que c'est juste le nombre de personnes partageant le même potentiel délire qui définit si ça en est un ou pas ? J'ai eu un patient sur une garde la semaine dernière qui m'a dit que "les gens du gouvernement fouillent les ordinateurs du peuple la nuit, à l'aide des ondes et des enceintes Bluetooth", est-il pathologiquement délirant ou juste complotiste ? Comme il n'exprime aucune velléité agressive ou dangereuse pour lui ou les autres, il est bien entendu qu'il est hors de question d'hospitaliser ce monsieur contre son gré, mais du coup ? Il rentre chez lui, partage ses théories complotistes sur Internet, et voilà la machine est lancée...qu'en penser ?
Bref je trouve ça très délicat, et du coup non je ne pense pas que les complotistes soient des idiots, mais je me questionne sur la prévalence des troubles délirants chez les conspirationnistes, et en même temps une opinion différente n'est pas forcément une pathologie, donc vraiment ça me retourne le cerveau