@maja_gypsie Je pense qu'il ne faut pas perdre de vue que le droit à l'avortement, c'est une possibilité, ce n'est pas une obligation. On peut avoir pour ligne de conduite personnelle qu'on avortera jamais, ou pas dans X condition, ou pas après tel délai, pour des raisons morales, religieuses, émotionnelles, pour n'importe quelle raison, et malgré tout vouloir que ce soit possible pour les autres femmes.
Tu le dis toi-même, à ce stade de la grossesse, il y a souvent un certain investissement émotionnel, ce qui me fait personnellement penser qu'une femme qui choisirait d'avorter "tardivement" aurait probablement des raisons très fortes de le faire, suffisamment pour compenser l'aspect émotionnel, mais aussi physique, de mettre fin à une grossesse avancée. Que ce soit parce qu'elle s'est aperçue tardivement de sa grossesse, que sa situation personnelle a changée, etc. Que faire, par exemple, pour une femme enceinte qui vient enfin de se sortir d'une situation de violence conjugale, de l'emprise d'un homme malveillant ? Un enfant sera à jamais un lien avec son bourreau. Elle va probablement devoir le revoir, il va avoir des droits sur l'enfant, et donc toujours une influence sur sa vie, elle va devoir faire des compromis avec lui. Est-ce que lui refuser un avortement sous prétexte que c'est trop tard, ce n'est pas simplement lui dire "tant pis pour toi" ? Elle aurait pu partir à des kilomètres de là, oublier ce gars, ne plus jamais le voir ou lui parler, il n'aurait jamais su où elle était, elle aurait pu refaire sa vie. Mais elle n'en a pas le droit pour... quoi ?
Certes, ça ne veut pas dire que la procédure serait facile à vivre, mais ce n'est pas parce que l'avortement est un droit que ça veut dire que ce n'est rien et qu'on n'a pas le droit de ressentir quelque chose. Certaines femmes ressentent un soulagement immense après leur avortement, d'autres éprouvent parfois le besoin de faire le deuil de ce qui aurait pu être, parfois c'est un mélange entre les deux. Sans doute que cela demanderait un accompagnement spécifique disponible si la femme le veut.
Sachant qu'en France, on peut interrompre une grossesse jusque dans le neuvième mois quand c'est pour raison médicale, que ce soit pour la santé de la mère ou parce que le foetus a un problème incurable, et ce même s'il pourrait être viable. Pourquoi c'est inenvisageable et immoral d'empêcher la naissance d'un enfant normal, mais parfaitement ok de le faire pour un enfant handicapé ? Pourquoi une femme devrait être en danger pour avorter tardivement ? Alors que techniquement, l'âge du fœtus et son développement est le même. Si l'argument c'est "c'est déjà un bébé à X mois de grossesse", c'est tout autant déjà un bébé si la maman a un cancer et a besoin de commencer une chimio ou si le bébé a une maladie génétique. Soit c'est immoral, soit ça ne l'est pas. Je trouve du coup personnellement la loi française assez hypocrite là-dessus.
Et puis bon, même si c'est déjà un bébé, déjà une personne... ben, il reste que c'est une personne qui vit présentement dans le corps d'une femme, qui est elle aussi une personne, qui existe, qui a une vie, qui a des intérêts qu'on doit défendre. Je ne pense pas qu'on devrait pouvoir être forcée de donner son énergie, sa santé, son temps pour maintenir une autre personne en vie. Dans quel autre cas que la grossesse demande-t-on cela à quelqu'un ? Même si ma soeur jumelle, ma mère, ma fille déjà née avait besoin de mon sang, de mes organes, personne ne peut m'obliger à lui donner pour survivre. Mais si c'est un enfant pas encore né, là, oui ? La grossesse, même lorsqu'elle est désirée, c'est usant pour le corps, ce n'est pas anodin. Certaines femmes se traînent des problèmes déclenchés par une grossesse ou un accouchement pour le restant de leur vie. On ne les obligerait pas à risquer et subir cela pour une personne déjà née, même si c'était une personne formidable, avec des gens qui l'aiment à qui elle manquerait, une vie bien remplie, utile, et un avenir radieux. Mais pour un bébé que personne ne connaît en dehors de la personne qui n'en veut pas, si ?