J'arrive à la période noire - celle d'il y a trois ans. Février 2009. Je crois que je venais de vous rencontrer. Oui, ça y est, vous existiez pour moi, et j'existais pour vous. Notre rencontre avait eu lieu. Vous m'aviez reçu dans ce grand bureau, et vous m'aviez sauvée.
Hier soir ils ont passé "La guerre des mondes" à la télé, je me souviens bien de ce film, il correspond justement à la période noire: j'étais chez mon frère, je dormais chez lui, dans un état de terreur et de panique incontrôlables. Il y avait l'odeur de l'hôpital dans son appartement, tout le temps, parce qu'ils avaient une podologue en bas de chez eux - l'odeur remontait, elle s'infiltrait dans mes narines, dans mon corps, c'était prenant, dévastant. Je dormais par terre sur cette petite chauffeuse que mon frère a gardé des séjours chez eux de ma marraine. J'allais "passer sur la table" et ce soir-là il y eut "La guerre des mondes". J'avais déjà vu ce film, je l'ai donc revu ce soir-là et mon angoisse était à son paroxysme. Il avait fallu que j'appelle mon frère pour parler tous les deux en privé dans sa chambre - des idées me venaient de partout, je voguais de crises d'angoisse en crises d'angoisse insurmontables. De revoir ce film hier soir m'a ramené trois ans en arrière, à la même période. Celle où je n'étais plus maître de moi, de mon corps - un mal me rongeait, une erreur monumentale, tumorale, une vie prenait forme en moi pour me mettre à mort - j'étais condamnée. Et je venais de vous rencontrer.
Vous existiez, vous imaginez ? Vous veniez d'exister pour moi. Et je savais que chaque semaine deux fois précisément, je pouvais vous voir et vous parler, et me reposer sur vous et me sentir comprise. J'avais cette chance, inestimable. La veille de l'opération je me répétais vos mots pour contrer cette terreur de mourir sur la table: "Mais non, vous allez vous réveiller, vous n'allez pas mourir." Je savais que vous existiez, et cela changeait tout pour moi, du tout au tout. Vous m'aviez accueillie, vous m'aviez sauvée. Vous existiez !
Et aujourd'hui, que reste t'il de nous ? Où êtes-vous ? Je n'ai plus de terreur ni de tumeur en moi, mais je vous ai perdu. Je n'ai plus la chance deux fois par semaine de vous attendre sagement assise sur une chaise en écoutant les douces musiques des couloirs du CMP. Vous n'êtes plus là - ils sont tous là, mais vous, précisément vous, vous qui me teniez en vie et me sauviez de ma propre vie, vous n'êtes plus là. Vous êtes mort, bordel. On vous a tué. La vie vous a tué. Et trois ans en arrière je pensais que jamais, jamais vous ne mouriez, que jamais vous ne me laisseriez là, plantée seule, abandonnée. On va a tué, mon infirmier adoré. On vous a tué et je n'ai rien pu faire.
Un an presque jour pour jour, je vous voyais pour la dernière fois, et vous existiez pour la toute dernière fois, pour la dernière fois nous pouvions nous rencontrer, parler et se regarder, et nous ne le savions pas (...)
Hier soir ils ont passé "La guerre des mondes" à la télé, je me souviens bien de ce film, il correspond justement à la période noire: j'étais chez mon frère, je dormais chez lui, dans un état de terreur et de panique incontrôlables. Il y avait l'odeur de l'hôpital dans son appartement, tout le temps, parce qu'ils avaient une podologue en bas de chez eux - l'odeur remontait, elle s'infiltrait dans mes narines, dans mon corps, c'était prenant, dévastant. Je dormais par terre sur cette petite chauffeuse que mon frère a gardé des séjours chez eux de ma marraine. J'allais "passer sur la table" et ce soir-là il y eut "La guerre des mondes". J'avais déjà vu ce film, je l'ai donc revu ce soir-là et mon angoisse était à son paroxysme. Il avait fallu que j'appelle mon frère pour parler tous les deux en privé dans sa chambre - des idées me venaient de partout, je voguais de crises d'angoisse en crises d'angoisse insurmontables. De revoir ce film hier soir m'a ramené trois ans en arrière, à la même période. Celle où je n'étais plus maître de moi, de mon corps - un mal me rongeait, une erreur monumentale, tumorale, une vie prenait forme en moi pour me mettre à mort - j'étais condamnée. Et je venais de vous rencontrer.
Vous existiez, vous imaginez ? Vous veniez d'exister pour moi. Et je savais que chaque semaine deux fois précisément, je pouvais vous voir et vous parler, et me reposer sur vous et me sentir comprise. J'avais cette chance, inestimable. La veille de l'opération je me répétais vos mots pour contrer cette terreur de mourir sur la table: "Mais non, vous allez vous réveiller, vous n'allez pas mourir." Je savais que vous existiez, et cela changeait tout pour moi, du tout au tout. Vous m'aviez accueillie, vous m'aviez sauvée. Vous existiez !
Et aujourd'hui, que reste t'il de nous ? Où êtes-vous ? Je n'ai plus de terreur ni de tumeur en moi, mais je vous ai perdu. Je n'ai plus la chance deux fois par semaine de vous attendre sagement assise sur une chaise en écoutant les douces musiques des couloirs du CMP. Vous n'êtes plus là - ils sont tous là, mais vous, précisément vous, vous qui me teniez en vie et me sauviez de ma propre vie, vous n'êtes plus là. Vous êtes mort, bordel. On vous a tué. La vie vous a tué. Et trois ans en arrière je pensais que jamais, jamais vous ne mouriez, que jamais vous ne me laisseriez là, plantée seule, abandonnée. On va a tué, mon infirmier adoré. On vous a tué et je n'ai rien pu faire.
Un an presque jour pour jour, je vous voyais pour la dernière fois, et vous existiez pour la toute dernière fois, pour la dernière fois nous pouvions nous rencontrer, parler et se regarder, et nous ne le savions pas (...)