Je me demande comment vous êtes, maintenant. Je me demande si vous êtes encore, un peu, un petit peu, là. Existant, sans exister. Réel, sans vivre. Je voudrais soulever la tombe et le granit qui me sépare de vous; j'ai besoin de voir, j'ai besoin de savoir. Ouvrir le couvercle, ouvrir l'opercule. Vérifier. Vérifier si c'est vrai, si c'est bien vrai, si c'est bien vous, là-dessous, depuis un an, séparé de moi. On ne sait jamais, vous pourriez être parti sans laisser un mot, prendre l'avion et changer subitement de vie - comme j'aurais aimé, comme j'aurais préféré. Je vous aurais même pardonné. Aucune fuite n'est pire que la mort. Vous aviez le droit à tout, à fuir, à partir, à vous enfuir, mais pas celui de mourir - la vie n'avait pas le droit de vous prendre, ni la mort.
Je voudrais voir si vous êtes encore là, existant. Le psy me dit que les tombent servent justement à cacher les morts des yeux des vivants; parce que ce ne serait pas supportable de les voir, il faut les ensevelir, il faut les enterrer, il faut leur construire une autre image, une image vivante qui n'est pas la réalité. Il me dit qu'il ne faut pas ouvrir ce qui est fermé; que si c'est fermé, il faut que cela le reste. Je sais très bien que je ne supporterais pas de voir ce qui reste de vous; je pense d'ailleurs aussi à mes chats là, je ne supporterais pas de voir ce que la mort a réussi à faire d'eux, de leur innocence, de leur joie, de leur bonheur de vivre.
J'ai horreur des boîtes fermées. Il me faut des clés; ou, à défaut, pouvoir regarder par la serrure et y trouver la lumière allumée. Je ne peux pas imaginer que vous êtes là dessous dans le noir et qu'on a pris tout ce qui restait de vous. Il faut que vous viviez encore, même mort. Il faut qu'on laisse votre corps tranquille. Votre âme n'est plus là, mais il faut qu'on vous laisse ce qui vous faisait vivant, ce qui vous rendait visible, ce qui vous a rendu visible pour mes yeux, ce qui a permis qu'on se rencontre, qu'on se parle et qu'on s'attache l'un à l'autre. Ne mourez pas davantage, mon infirmier d'amour, ne mourez pas plus, il faut que ça s'arrête, je veux vous protéger de cette nature avide et qui reprend, je veux vous préserver, et mes chats aussi, je veux que tout reste en vous intact et beau, vous y avez droit, vous avez droit au moins à ça, puisque la mort vous a pris le reste.