"Le témoignage de quelqu'un qui s'en est sorti". Si cela signifie ne plus y penser, ne plus en avoir la moindre trace, je pense que c'est impossible car c'est une cicatrice qui fait partie de nous.
Si "s'en sortir" signifie en chassant le mauvais, là, par contre, je pense que c'est tout à fait possible.
J'étais toute petite quand mon beau-père à commencé (4 ans) et ça a duré des années (jusqu'à l'adolescence). J'ai eu beaucoup de mal à surmonter la honte, le dégoût de moi. Comment assumer que tu te sois laissé torturer ? J'avais parfois l'impression d'être folle, d'être stupide. Avant de comprendre qu'il y avait de la manipulation, la naïveté d'un enfant et la création d'un cercle vicieux dont je n'arrivais pas à me défaire. Des adultes ont déjà du mal, comment une enfant aurait pû ?
J'ai un gros problème d'estime de moi. Les miroirs ont été mes pires ennemis pendant des années, j'ai détesté mon corps au point de vouloir le détruire. J'ai bien faillit. Mais, même si j'ai cru pendant 10 ans que jamais ça n'irait mieux, un jour, j'ai sorti la tête de l'eau. J'ai arrêté de m'en vouloir, de me sentir coupable. J'ai compris que le vrai coupable, c'était cette ordure qui avait abusé d'une enfant.
J'ai également eu du mal dans mes relations intimes. J'ai parfois encore des blocages, car je déteste me laisser aller et il me faut une confiance absolue pour pouvoir me livrer à l'autre. Mais avec un partenaire doux et a l'écoute, tout se passe bien.
Maintenant, je ne sais pas si "je m'en suis sortie". Je sais seulement que j'ai compris que je ne devais pas me forcer à oublier car ça fait partie de moi. Ce n'est pas "qui je suis", mais c'est un élément ayant joué dans ma construction psychologique. Parfois, je suis satisfaite d'avoir un passé plus difficile que d'autres, car ça me donne un certain recul sur pas mal de situations, une certaine force. Mais, malheureusement, ça me donne également un certain mépris envers les autres (trop faible, trop naïf). Je n'arrive pas à éprouver d'empathie pour les gens qui se plaignent d'un rien ou qui croient au père Noël. Mais je suis la première à verser des larmes pour un sourire sincère inattendu, une personne qui raconte sa vie ... A vrai dire, je ne sais pas trop où mon empathie devient mépris, c'est vraiment au cas par cas ...
En bref, tout ce que je peux conseiller aux autres, alors que j'ai l'impression que je suis encore en convalescence, c'est de ne pas se forcer à oublier / y penser. En parler si on en a envie, écrire ses souvenirs si on en ressent le besoin, mais surtout pas enterrer ça au fond de son esprit, car les secrets demandent toujours à ressortir.
Plus j'en parle, moins c'est difficile et j'ai l'impression qu'à chaque fois, ce secret est plus petit, moins honteux. C'est devenu mon jardin secret, mais non plus une tare qu'il faut cacher aux yeux du monde. J'ai beaucoup souffert pour en arriver là, beaucoup travaillé sur moi-même (et sans l'aide de psychologues), je me suis remise en question un grand nombre de fois, j'ai eu des hauts et des bas. J'ai rencontré plusieurs personnes avec un passé similaire, à croire qu'on s'attire, et ça m'a beaucoup aidé. À plusieurs, on est plus forts, savoir qu'on est pas seuls, que d'autres comprennent sans devoir mettre de mots ... Ça fait un bien fou. Et pour se sentir aidé, internet est plutôt une belle trouvaille ...