J'ai vraiment l'impression qu'on ne parle pas de la même chose, parce que personne n'a dit vouloir mourir juste pour ne pas se sentir dépendant. Je ne prétendrais jamais choisir pour les autres mais moi, je ne veux pas passer par tout ce que j'ai pu voir dans ma famille et ça me gaverait énormément qu'on ne m'accorde pas ce droit. Je n'ai pas envie de finir comme ça, en quoi est-ce un problème pour d'autres gens ?
Je trouve ça à l'inverse violent de ne pas laisser les gens choisir comment finir leur vie.
Le "mon corps mon choix" a des limites. Le principe vaut pour l'avortement d'une part parce que ce droit a été arraché au patriarcat qui privait les femmes de leur auto-détermination et ensuite parce que le choix des unes n'altère pas le libre arbitre des autres. Ca n'est pas parce que certaines femmes choisissent d'interrompre leur grossesse que ça va mettre la pression à celles qui veulent mener la leur à terme. Par contre la légalisation de certains autres gestes médicaux peut avoir des conséquences qui dépassent les simples choix individuels. Si on pousse cette logique du "mon corps mon choix" jusqu'à l'absurde, pourquoi on n'autoriserait pas les gens à vendre leurs organes par exemple?
On ne peut pas réfléchir que de façon individualiste à ce qui touche la santé humaine. A mon avis c'est une grosse erreur de croire qu'en faisant du "mon corps mon choix" un principe absolu applicable à tout et n'importe quoi, on gagnera en liberté et que ça bénéficiera à tout le monde. Au contraire, ce genre de logique très individualiste c'est la base de l'ultra-libéralisme qui se nourrit et creuse les inégalités entre riches et pauvres et entre dominés et dominants. Par exemple si on libéralisait totalement la GPA, certes, sur le papier on pourrait dire que ce droit élargit la liberté des femmes de disposer de leur corps, mais dans les faits, il y a fort à parier que ça finirait en une marchandisation des ventres de femmes pauvres au profit de couples riches, et que ça ne ferait qu'accentuer tous les rapports de domination pré-existants.
Ensuite, dans le cas de l'euthanasie, le "mon corps mon choix" il va dans les deux sens. C'est facile en étant bien portant de dire "Moi je pourrais jamais vivre dans telle ou telle condition", "plutôt mourir que de perdre telle ou telle faculté", "être condamné à tel ou tel état de santé c'est pas une vie, mieux vaut en finir au plus vite", etc. Le truc c'est que de l'autre côté, ça envoie aussi un message aux personnes qui se trouvent elles-mêmes dans les états redoutés et qui entendent donc qu'à leur place, d'autres préféreraient encore la mort. Peut-être que les premiers concernés demanderaient eux-mêmes à bénéficier de l'euthanasie si elle était autorisée, mais peut-être aussi qu'ils ne voudraient pas exercer ce droit parce qu'ils tiennent à leur vie, malgré l'idée que les personnes valides s'en font. On voit bien avec l'exemple des patients atteints d'Alzheimer et l'expérience de
@pikalovescoke , que les choses ne sont pas si simples qu'on pourrait l'imaginer et qu'une bonne part de stéréotypes et de projections intervient dans l'idée qu'on se fait de ce que ces personnes peuvent vouloir ou pas. Donc je trouve qu'il faut être vraiment très prudent sur les termes qu'on utilise et sur les exemples qu'on brandit pour justifier le recours à l'euthanasie, parce qu'en revendiquant le droit individuel de mourir pour une raison X ou Y, on peut potentiellement empiéter sur le droit individuel de vouloir vivre malgré cette raison X ou Y. Je reprends l'exemple de Jacqueline Jenckel qui à 75 ans, militait pour légaliser le droit à mourir pour cause de vieillesse. Quand j'ai entendu son interview chez Konbini, je me suis directement mise à la place des personnes plus âgées qui pourraient entendre ça et qui apprendraient en substance qu'elles n'avaient plus rien à attendre de la vie et qu'en étant aussi âgées il était bien plus sensé de demander à mourir. Ca aurait eu quoi comme conséquences pour l'ensemble des vieux si ses revendications au nom de "mon corps mon choix" avaient abouti?
Pour clore, puisqu'il faut encore le préciser,
je ne suis pas contre le principe de l'euthanasie. Peut-être qu'un jour je serais bien contente de pouvoir en profiter et je ne suis personne pour refuser ce droit aux personnes qui y aspirent pour elles-mêmes. Par contre j'estime que ça n'est pas non plus à moi de décréter qu'il faudrait la légaliser pour telle ou telle situation qui me terrifie personnellement. Mes peurs ne sont pas celles de tout le monde et n'ont peut-être pas grand chose à voir avec la réalité vécue par d'autres. Donc pour quelque chose d'aussi fondamental et lourd de conséquences qu'une loi sur l'euthanasie, je pense qu'il faut savoir mettre ses angoisses perso de côté afin de réfléchir à un champ d'application qui soit respectueux du bien commun au sens le plus large possible. Si la loi belge est aussi encadrée c'est pas par hasard!
penser que l'euthanasie puisse être une alternative à l'ehpad c'est disproportionné. Aucune demande ne serait acceptée sur cette base.
Oui, sans doute parce que les législateurs belges ont anticipé sur cette dérive et ont veillé à l'écarter? En attendant en France il n'y a pas encore de loi légalisant l'euthanasie, donc pointer les propos problématiques dans un débat comme celui-ci, c'est pas juste de l'empêchage de tourner en rond et ça n'est pas synonyme d'opposition au principe de l'euthanasie. C'est aussi mettre en garde contre les dérives de certaines logiques et vouloir se prémunir contre les risques d'instrumentalisation de ce droit.