J'ai créé un compte juste pour pouvoir répondre à cet article, donc je rentabilise mon inscription en écrivant un pavé (et encore, j'ai taillé dans le vif sur certains points). ^^
D'abord, je suis extrêmement étonnée que cet enseignant et ses méthodes ait obtenu un certain intérêt médiatique, tant ce qu'il propose n'a absolument rien de révolutionnaire, et est pratiqué par de très nombreuses/x collègues.
La seule chose de vraiment « extraordinaire », au sens de « hors de l'ordinaire » est l'utilisation des réseaux sociaux et des SMS pour être en contact très fréquent avec les élèves et leurs parents, mais le reste n'a rien d'exceptionnel.
« Les élèves ne sont pas démissionnaires, ils viennent en cours, ils sont attentifs, ils ont intégré qu'ils étaient là pour travailler... Mais ils ne travaillent pas, ils ne relisent pas leurs cours. »
C'est là que j'ai commencé à vraiment à tiquer. Finalement, selon cet enseignant, le seul problème qui manque à la réussite de ces élèves, c'est le travail à la maison. Je voudrais dire ici que ce qui est décrit là est très éloigné de ce que je peux vivre, dans un lycée de province. Chez moi, il y a des élèves qui ne viennent pas en cours. Du genre jamais. Des élèves qu'on ne voit pas pendant des mois, et qui se pointent parfois de temps en temps. Des élèves qui ne viennent jamais les lundis, et puis pas trop le jeudi non plus, et puis ça dépend pour les autres jours. Et puis bien sûr, beaucoup d'élèves qui ne sont pas « attentifs », que tout intéresse davantage que ce qui est fait en classe, et qui font tout pour échapper au travail en classe. C'est une très grosse partie des élèves. Et je ne peux pas leur dire, comme le fait M. Fontanieu « t'as qu'à bosser davantage chez toi ».
Parce qu'à l'inverse de lui, je ne crois pas que la solution aux difficultés se joue hors de la classe, je crois qu'elle se joue dans la classe. Je crois que c'est à moi de mettre en œuvre, dans ma classe, les moyens pour qu'ils apprennent. Dans ma classe. Pas chez elles/eux. Considérer que le seul problème de ces élèves réside dans le manque de travail à la maison revient à considérer qu'ils/elles sont les seul-e-s responsables de leur échec. Et permet de se dispenser d'une réflexion globale sur la transmission du savoir et la pédagogie, comme s'il suffisait aux enseignant-e-s d'exposer des savoir (cours magistral) que les élèves devaient ensuite apprendre par coeur.
« L'école ne vous doit rien ». Si. L'Ecole leur doit la transmission des savoirs. L'Ecole et ses enseignant-e-s doivent aux élèves de mettre en œuvre le maximum pour exercer cette mission.
« Tu prends ce qu'on te donne, point ». Et s'ils/elles ne prennent pas ? On fait quoi ? L'enseignement, je crois que c'est prendre les élèves où ils sont, là où ils en sont, et les élever. Même s'ils en sont au stade de la consommation. Trouver un moyen de les intéresser, de faire en sorte que « le cours leur convienne » pour qu'ils et elles apprennent. Et pourtant, rien n'est dit dans cet article de ses méthodes pédagogiques. Rien n'est dit de ce que les élèves font en classe. Qu'est-ce qui est mis en œuvre, dans la classe, pour que les élèves comprennent, apprennent ? On fait comme si l'apprentissage en classe était une évidence, comme s'il suffisait d'être « attentif » pour apprendre (ce qui relève, bien sûr, d'une croyance très répandue mais pourtant évidemment fausse), et qu'il suffisait de « réviser régulièrement » pour réussir. Mais ça ne se passe pas comme ça ! Le processus d'apprentissage est bien complexe que ça.
D'ailleurs, quel est le moyen utilisé par ce professeur pour les mettre au travail ? La répression. Par les notes. Les notes ne sont plus un moyen d'évaluation (dont on sait d'ailleurs combien elles sont faussées par différents facteurs), mais un moyen de répression. Est-ce réellement le bon message qui est envoyé aux élèves ? Et comment note-t-il leur travail ? Par le biais de QCM, dont tout le monde conviendra qu'ils ne permettent absolument pas d'évaluer une réflexion ou un esprit critique, mais seulement un « recrachage » de notions. (en plus, il enlève des points en cas de mauvaise réponse, ce qui ne permet pas à l'élève d'avoir un symbolique « droit à l'erreur » - je rappelle qu'au test Pisa, les petit-e-s Français-e-s sont celles et ceux qui préfèrent le plus ne rien répondre plutôt que de prendre le risque de se tromper, tant ils/elles sont angoissé-e-s par l'échec....). Certes, les élèves sont capables d'apprendre des notions, d'apprendre un cours. Auront-ils appris à réfléchir ? A avoir un esprit critique ? A être autonome ? A apprendre pour soi ? Auront-ils pris plaisir à apprendre (parce que oui, c'est important d'avoir découvert le plaisir d'apprendre avant la fin de sa scolarité obligatoire, sans quoi on risque d'arrêter d'apprendre dès lors qu'on n'en aura plus une utilité immédiate) ?
Son objectif est que ses élèves aient leur bac. Je trouve que c'est un peu limité (l'idée d'une Ecole distributeur de diplôme est pour le coup un brin consumériste), et donne une idée utilitariste du savoir, mais l'objectif est évidement louable. J'espère qu'il y parviendra, et cette méthode peut sûrement fonctionner dans son cas. Il est prof de la matière principale de cette classe, l'année de l'examen. Il travaille avec des TES, qui sont loin d'être les élèves les plus en difficulté du système scolaire (allez donc faire un tour du côté des filières technologiques ou professionnelles) Mais... c'est un cas particulier, et loin d'être la réalité de la majorité des cas où nous enseignons. Qu'en est-il des matières « moins importantes » (pour décrocher le bac) ? Qu'en est-il des autres classes ?
[Là où je rejoins son constat, c'est sur la difficulté de travailler en équipe (surtout au lycée). On ne croise pas forcément ses collègues très souvent dans la semaine pour peu qu'on ait un emploi du temps et des habitudes différentes, et le travail en équipe n'est pas institué dans l'Education nationale : il n'y a par exemple pas d'heure de concertation dans l'emploi du temps. Il arrive souvent qu'on débatte de cas d'élèves pour la première fois tous ensemble au conseil de classe du premier trimestre. C'est clairement problématique. (mais ça n'en est pas au stade où on ne partage jamais d'information avec le prof principal....)]