En fait, je pense surtout que ce que tu dis "ne pas oublier le sexisme", "rester dans la sororité", ça peut peut-être paraitre limpide pour quelqu'un de sensibilisé au féminisme comme toi, mais pour une femme de 20 ans sociabilisée dans un milieu hyper masculin (parce que j'imagine qu'entre la prépa et la 1ère/Terminale S, elle n'était pas entourée d'un nombre écrasant de filles depuis au moins ses 16 ans), c'est loin d'être des choses qu'on se dit spontanément dans une société patriarcale qui encourage les femmes à se détester entre elles et chercher l'approbation des hommes.
Bah en fait on ne sait pas du tout quel bac et quelle prépa elle a faits : elle est en école de commerce, c'est son pote qui est en école d'ingé. Donc on ne sait pas, peut-être qu'au moment de son entrée dans l'univers des grandes écoles (je parle au pluriel puisqu'elle a fréquenté sa propre école de commerce ET qu'elle est allée en soirées d'école d'ingé) elle avait plein de copines, y compris féministes et tout.
... ce qui ne m'amènerait pas à la blâmer pour autant. Je ne vais pas mentir cela dit, ce témoignage me déprime. En fait il m'a rappelé le moment où justement mes meilleures copines sont toutes arrivées en école de commerce (chacune dans une différente) en même temps (moi j'ai suivi une autre voie).
Eh ben pendant quelques années j'ai beaucoup pris sur moi pour supporter les conversations à ce sujet, j'avais vraiment l'impression (ça va sonner dur et jugeant mais c'est vraiment comme ça que je le voyais) qu'on leur avait lavé le cerveau : ça parlait d'OB (
open bar pour les profanes), d'asso, du journal de l'école, de popularité, de qui a chopé qui, des chants sexistes hurlés dans le car pour aller en soirée, des
nobod (les pouilleux qui ne sont pas en asso), de l'élection de la salope du mois, des défis lancés aux meufs qui devaient enlever leur soutien-gorge... (jamais des cours hein). Et je tiens à préciser qu'une de ces copines était à l'époque de notre rencontre (2 ans avant) bieeeen plus féministe que moi, bien plus renseignée et convaincue sur les questions de sexisme. Ça ne l'a pas empêchée de sombrer dans cette logique assez merdique de ragots où on débriefe les OB, qui a chopé qui, où on jauge la réputation d'unetelle (les mecs sont globalement jugés bieeeeen moins sévèrement). Et je le répète c'étaient des écoles de commerce, donc pas du tout un contexte de prédominance masculine qu'on peut avoir en école d'ingé.
Cela dit je pense qu'il faut analyser les écoles de commerce pas uniquement avec le prisme du genre : c'est aussi des milieux, assez souvent, d'entre-soi bourgeois où ce qui est important, c'est la popularité et le réseau (ce qui se fait forcément au détriment d'autrui, par une logique purement concurrentielle) et où les mecs en particulier, globalement assez privilégiés, ont l'habitude de l'impunité, j'en suis assez convaincue. Et c'est entretenu par le fonctionnement pseudo-campus américain souvent cultivé par les écoles de ce genre, où on fait en sorte que l'école soit toute la vie des étudiants pour qu'ils oublient le reste du monde. Ce qui fait que si en tant que meuf tu t'ériges contre l'atroce sexisme qui y règne, c'est toute ta vie qui est affectée : tes études, tes soirées, ta vie sociale, sentimentale et sexuelle...
Et je dis que j'ai pris sur moi, ouais. Parce que je voyais bien que ça avait marché, cet entre-soi, que ce truc là avait pris une importance (démesurée à mes yeux) dans leur vie. Parce que c'était tout un univers extrêmement rigide dont elles devaient acquérir les codes Et parce que si elles avaient refusé de jouer le jeu elles l'auraient sûrement payé cher. Toujours est-il que ça me faisait mal de les entendre adopter (en partie seulement, mais c'était déjà beaucoup) ces codes et ce discours, elles manquaient honnêtement beaucoup de recul dessus. Je crois que c'est ça aussi qui me rendait ouf : qu'elles jouent le jeu dans ce milieu-là, je le comprenais, c'est de la survie, mais ça venait déborder dans d'autres sphères, dans nos conversations entre nous, entre filles, etc. Ça m'inquiétait beaucoup pour elles.
J'ai vraiment été hyper soulagée quand elles sont sorties de leurs écoles respectives, elles m'ont vraiment donné l'impression de retrouver un peu plus le sens des réalités. Maintenant elles parlent de ces expériences avec beaucoup plus de recul.