Une fois que tu as ton adresse, tu passes par plusieurs étapes : rédiger ton récit pour expliquer pourquoi tu es réfugié (bien sûr, tu n'as pas toujours accès à une personne pour t'aider même si tu ne sais pas écrire, sinon ce serait trop facile !), puis passer un entretien oral avec des questions très poussées pour savoir si tu viens bien du pays que tu prétends et si tu as bien souffert autant que tu le laisses penser.
On a l'impression que c'est assez simple du premier abord, mais quand des personnes mineures sont convoquées avec un interprète qui ne parle pas bien leur langue et qu'en plus ils doivent raconter le massacre de leurs familles devant des inconnus et une grosse pression parce qu'ils savent que s'ils foirent cet entretien, ils sont dans la m****, tout de suite c'est moins simple qu'il n'y paraît. Et les cas que je raconte sont loin d'être extrêmes, ils arrivent régulièrement.
Je rebondis sur cette partie de ton post, sur la difficulté à raconter son récit parce que ça me rappelle un article d'une ancienne avocate qui a travaillé avec des réfugiés. L'article est en réaction aux questions de viols sur les campus américains mais le propos qu'elle tient témoigne de son expérience avec le récit des traumatismes faits par les réfugiés.
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J'ai appris qu'il est extrêmement difficile pour des personnes traumatisées de raconter une histoire avec exactitude, même si c'est ce qu'elles essayent de faire. Il y a plusieurs raisons pour ça. Pour les cas sévères, le stress post-traumatique peut causer des pertes de mémoire ou rendre les vrais détails d'une histoire trop douloureux à raconter. (...) Même pour les cas les moins sévères, les histoires des gens contiennent souvent des erreurs ou des oublis. Les dates peuvent être fausses. Parfois, les gens nommaient le mauvais groupe responsable de leur persécution. Des clients se concentraient sur certains faits et n'en mentionnaient pas d'autres. Tout cela aurait pu facilement être une raison de douter de leur histoire toute entière, mais lorsque je vérifiais les faits fondamentaux en croisant les preuves - registres médicaux, articles de presse, parfois les témoignages des agresseurs eux-mêmes - ils se révèlaient vrais.
J'ai fini par réaliser que le problème n'était pas que les gens inventaient des histoires mais que les détails qui me paraissaient importants n'étaient pas ceux qui comptaient pour eux.
Par exemple, lorsque j'ai demandé à une jeune femme comment il était possible qu'elle ne soit pas certaine de l'identité du groupe armé responsable de l'attaque qui l'avait forcée elle et sa famille à quitter leur maison, elle m'a répondu "Quand quelqu'un vient chez vous pour vous tuer, vous ne leur demandez pas leur carte d'identité". Et il y a certains détails que n'importe qui aura tout simplement des difficultés à remarquer et à mémoriser, comme le noms des rues dans une ville qui n'est pas familière, les dates d'événements ayant eu lieu longtemps auparavant, ou le visage d'étrangers jamais rencontré avant le traumatisme en question.
Cela signifiait que j'avais la responsabilité de protéger ces gens en vérifiant les détails de leur histoire avant de les exposer à l'oeil du public ou d'une cour d'immigration. Présenter leurs histoires sans effectuer ce genre de travail n'aurait pas été une façon de les protéger. Au contraire, cela aurait pu nuire définitivement à leur crédibilité.
(...) Avant d'avoir eu cette expérience avec les victimes de traumatisme, j'aurais rejeté la possibilité que quiconque puisse faire ce genre d'erreurs. Mais maintenant, je peux facilement y croire."
http://www.vox.com/2014/12/5/7341973/trauma-rape-allegation-uva
Donc ce témoignage confirme bien qu'il est très compliqué pour un réfugié de démontrer que sa demande est légitime et que l'asile est loin d'être facilement accordé aux personnes "qui le méritent".
Oui il existe des associations pour aider les SDF, je ne dis pas le contraire, je parle plutôt de l’engouement général, de monsieur ou madame tout le monde qui prend conscience de l’état actuel des choses (guerre, misère, mort, etc…) et qui réagit. Je ne dis pas que c’est mal, bien au contraire, je ne dis pas que telle ou telle personne a la priorité, je dis juste que j’ai du mal à comprendre pourquoi aider plus une catégorie de personne qu’une autre.
Ben moi ce que je comprends pas, c'est que ça stupéfie les gens comme ça qu'il y ait soudain la médiatisation d'une cause du fait de l'actualité alors qu'il y a d'autres causes graves dans le monde qui ne sont pas médiatisées. C'est comme ça que ça se passe TOUJOURS pour TOUTES LES CAUSES. Donc effectivement, je trouve ça problématique que l'extrême-droite balance un "pourquoi on parle des réfugiés alors qu'on a des SDF français dont on ne parle pas?" et que des tas de gens sautent à pied joint dans l'argument.
Par exemple, quand il y a eu les attentats de Charlie Hebdo, il y a eu des attentats au Nigéria aussi mais ça a été noyé par ceux de Charlie Hebdo. Et quelques mois avant, est-ce qu'on parlait autant de la
quarantaine d'étudiants mexicains disparus et probablement assassinés collectivement dans un charnier pour avoir protesté? A l'époque, Amnesty International demandait à ce qu'on soutienne plusieurs prisonniers de conscience mais c'est
Raif Badawi, le blogueur saoudien condamné au fouet pour blasphème, qui a déclenché une vague de solidarité du fait des événements de Charlie alors que ça faisait 2 ans et demi qu'il était en prison. A côté, d'autres prisonniers de conscience n'ont pas eu droit à cette publicité. Quatre mois après Charlie Hebdo, qui a entendu de la campagne pour
Mouhammad Bekjanov, un journaliste ouzbek en prison depuis 16 ans après avoir été torturé? Est-ce que son cas est moins "valable" que Badawi pourtant? Et aujourd'hui, on parle des réfugiés syriens mais quels médias parlent des
migrants comoriens qui meurent en mer en essayant de rejoindre Mayotte, département français? On a beaucoup insisté sur l'épidémie d'ebola qui a fait 10 000 morts en Afrique mais qu'en est-il du paludisme qui tue 500 000 personnes par an, la majorité en Afrique?
Oui, je trouve que les médias devraient plus parler de Mayotte et que l'Etat devrait faire quelque chose, qu'on devrait réaliser à quel point le paludisme est un problème, que le public devrait aussi se mobiliser pour Bekjanov ou les étudiants mexicains. Et pourtant, je suis ravie qu'on parle des réfugiés syriens, de Raif Badawi, de la crise d'Ebola et que la liberté de la presse soit défendue.
On peut saluer la prise de conscience et l'élan de solidarité sur certaines causes tout en sachant qu'il en existe d'autres dont on ne parle pas. Au lieu de se plaindre de la médiatisation de l'une, mieux vaut travailler sur la médiatisation de l'autre
en parallèle. Et on sait que c'est injuste, que parfois ça fait le buzz sur certains sujets et pas sur d'autres mais l'injustice, ce n'est pas la publicité gagnée par certains mais le manque de publicité pour les autres!
Ce phénomène est QUOTIDIEN, il n'a rien d'exceptionnel. Donc il faut bien se demander pourquoi tout-à-coup parce que ça touche le droit des étrangers, l'extrême-droite est révoltée par ce phénomène banal. S'ils étaient vraiment préoccupés par le sort des SDF, ils feraient campagne
pour eux et non
contre la médiatisation des réfugiés. La part médiatique des réfugiés ne grignote pas la part médiatique des SDF, il y a d'autres sujets qui pourraient être moins traités pour donner la place aux deux (au hasard, les prises de tête à EELV, les histoires internes des Républicains, les reportages sur la rentrée des classes etc.) Mais clairement, le but n'est pas de médiatiser les SDF et de sensibiliser la population à leur situation, simplement de donner une mauvaise image aux politiques liées aux réfugiés.
Bref, je ne trouve absolument pas stupide de dire "si tu es touché par le sort des SDF, engage-toi pour eux au lieu de t'indigner que la cause des réfugiés soit plus médiatisée".