A bien y réfléchir aujourd'hui avec le recul, je crois vraiment que ce qui nous pose problème, c'est la définition de la ----phobie.
Ce qui a déclenché tout ce débat sur plusieurs pages,
c'est la personne qui analysait la proposition de loi des députés comme de la maigrophobie, et en fait c'est ce raisonnement avec lequel j'étais en désaccord.
En fait aujourd'hui, on remarque une tendance de tous les gens qui vivent une situation désagréable à la constituer en ----phobie, et ça m'interroge. Les gens de la Manif pour Tous ont défilé en se plaignant de la "christianophobie" et de la "familiphobie" du gouvernement, mais pour moi ces termes sont impropres, car on vit quand même dans une société historiquement chrétienne et où le modèle familial nucléaire est largement valorisé.
Pour moi, la ---phobie, c'est vraiment autre chose, car si on multiplie sans cesse les catégories de ---phobie, on risque de diluer les luttes menées actuellement pour les opprimé.es.
Par exemple, j'ai une pote chrétienne qui m'a beaucoup parlé de la christianophobie, en se plaignant que tous les gens se moquent d'elle parce qu'elle va à la messe. Et c'est vrai que ça doit pas être évident d'être chrétien pratiquant aujourd'hui, je le reconnais parfaitement. Ca me désole pour elle qu'il y ait des crétins capables de se moquer d'elle pour une croyance profonde. Mais est-ce de la christinianophobie pour autant ? Ca m'a interrogée, parce que par exemple je viens d'une famille juive, et je vois bien ce à quoi mes cousins et cousines (et moi-même quand les gens finissent par le savoir) sont exposé.es quotidiennement. Nous faisons face à une réelle hostilité. Ca m'est arrivée quelquefois de rencontrer des gens qui m'aimaient bien, et qui, apprenant mon ancrage familial, devenaient bizarrement distants avec moi. J'ai notamment un bon ami que j'ai dû convaincre pendant des semaines que, non, je ne faisais pas partie du lobby pro-juif économico-israélien, ça m'a fait un peu mal quand même. Du coup, quand j'entendais cette pote chrétienne me parler des moqueries qu'elle subissait, j'étais en empathie avec elle, mais en même temps la catégorie de "christianophobie" me semblait impropre ; c'est pas une Yézidie en Irak non plus (ni une Musulmane en France), vous voyez ce que je veux dire ? Ce qui ne remet absolument pas en cause la grande souffrance qu'elle doit ressentir quand les gens font parfois délibérément devant elle des blagues salaces avec Jésus.
Donc cela m'amène sérieusement à vouloir redéfinir la catégorie de ---phobie, non pas pour en exclure des gens ou les concurrencer (ce serait débile !), mais pour mieux pouvoir combattre les actes inadmissibles. Je suis persuadée, par exemple, qu'on ne lutte pas avec les mêmes arguments contre quelqu'un qui en France se moque des chrétiens, et quelqu'un qui se moque des musulmans. Mais il faut lutter contre les deux.
Autre exemple : je suis vraiment grande, et je ne trouve pas souvent de pantalons qui vont en bas de mes jambes (même chose pour les bras). Des fois les gens me disent : "Tiens, voilà notre grande asperge" en rigolant. Ou "Arrête de grandir, tu trouveras pas de mecs comme ça !". Mais c'est pas pour ça que je vais aller défendre l'idée d'une "grandophobie" de notre société. Je sais bien que les gens plutôt grands y sont valorisés comme beaux, en règle générale. Mais je sais bien aussi que, pour sortir de la norme en "excès", une fille de 2m pourrait se faire insulter quotidiennement (la "basketteuse", "ce qui est petit est mignon hihihi", etc...). Ce n'est pas pour autant que notre société serait "grandophobe".
Mais j'ai conscience aussi que dans le cas de la maigreur c'est plus compliqué, car il y a tout un ensemble de passions sociales qui se cristallisent sur la maigreur.
On parlait plus haut de
la "---phobie" comme "peur de devenir comme...". Et
@Solstice et
@OpiumD ont apporté des éléments de précision (merci
). C'est vrai que c'est impropre de comparer des trucs incomparables, on fait le parallèle pour rendre ça plus clair, plus visible. Cependant, après réflexion, je trouve que le parallèle n'est pas si absurde : l'homophobie, c'est aussi la peur de la contagion de l'homosexualité (on le voit bien dans les discours des "anti-genre" aujourd'hui, ils ont peur qu'on enseigne des trucs à l'école parce que ça risquerait de rendre leurs enfants homos ou trans. Sinon pourquoi ils voudraient t'interdire ce savoir ?). Pareil pour l'islamophobie : les gens ont peur de la "contagion musulman", que les gens se convertissent en masse ou qu'il y ait plein de musulmans qui arrivent. Donc oui, la ---phobie, c'est aussi une peur de perdre son identité en étant contaminé, submergé par l'identité de l'autre. Je ne vois pas comment notre société pourrait avoir peur de devenir maigre. Mais la majorité, par contre, a peur de devenir gros. Je ne nie pas le fait que certaines personnes particulières aient peur de devenir encore plus maigres, mais des peurs particulières ne suffisent pas, à mon sens, pour définir une peur collective et généralisée. C'est pour cela que je définis la société comme constitutivement grossophobe et pas comme constitutivement maigrophobe. Mais encore une fois, c'est pas du tout un jugement de valeur sur votre souffrance
D'ailleurs, je trouve effectivement que j'avais commencé par minorer un peu les attaques dont les filles maigres sont l'objet (peut-être parce qu'en ayant fait l'expérience moi-même, j'ai tendance à les relativiser au premier abord), ce qui a pu vous blesser, et je m'en excuse si cela a été le cas.
Donc, voilà, j'espère que c'est plus clair pourquoi je défendais l'idée selon laquelle notre société ne peut pas vraiment être maigrophobe. Je pense qu'à force de se convaincre de l'existence de plein de "---phobies", on passe à côté de l'analyse des causes qui seule permet de lutter contre ces formes intolérables et plurielles de violence. Et il faut qu'on lutte contre tout ça, c'est important
PS : pas vu IZombie finalement, mon compagnon n'avait pas envie ! Mais ce n'est que partie remise