Comme j'aime bien faire des posts dans la continuité de ceux d'
@Iroise , aujourd'hui, je vais vous parler de la morelle douce-amère.
Dites bonjour à vos années collège pour s'ambiancer en musique
La douce-amère est une plante de la famille des Solanacées, comme la patate, la tomate ou l'aubergine; si vous avez déjà cultivé des tomates, vous verrez qu'effectivement, ça se ressemble beaucoup.
Ah, donc cette fois, commençons par l'essentiel: ça se mange?
Vous savez, sur le principe,
toutes les plantes peuvent être mangées. Par contre, il y en a qu'on ne peut manger qu'une fois.
Même s'il est techniquement possible de se faire une salade de douce-amère et de ne pas en mourir, je pense que vous n'aurez pas envie de réitérer l'expérience. Toutefois, la toxicité des morelles est sujette à de vifs débats (pour la douce-amère, mais aussi pour sa proche parente la morelle noire, cultivée comme un légume à Madagascar, et classée comme empoisonneuse en France).
Comme toutes les solanacées, elle produit de la solanine, un alcaloïde toxique. Elle produit également de la saponine, autre alcaloïde, également toxique. Note: les alcaloïdes sont des molécules produites par les plantes, qui contiennent de l'azote. Il y en a un nombre important et une grande diversité, certains sont toxiques, certains sont utilisés en médecine, certains sont... les deux! La morphine, par exemple, est un alcaloïde. La caféine et la nicotine aussi. Ceci dit, bien que vos pommes de terre produisent de la solanine, elles font quand même d'excellentes frites: ceci est dû au fait que la solanine n'est pas stockée dans les tubercules, qui servent surtout à stocker l'amidon. On peut retrouver un peu de solanine dans les patates quand même, si elles verdissent; mais elle est partiellement dégradée à la cuisson, donc à moins que votre patate ne soit toute verte ou que vous ayez l'estomac sensible, vous ne risquez pas grand-chose... tant que vous ne mangez pas sa tige avec!
Dans le cas de la douce-amère, les toxines sont surtout concentrées dans ses baies vertes; la toxicité baisse un peu lorsqu'elles mûrissent. Elles restent vraiment pas recommandées pour les humains, mais sont très appréciées des oiseaux. Et ce n'est pas par hasard. Comme tout être vivant sur cette planète, la douce-amère a un but principal dans sa vie: assurer la survie de son espèce. Ceci passe par se reproduire et disséminer ses graines. Comme l'épilobe, la douce-amère aime bien pouvoir envoyer ses graines le plus loin possible, contrairement à d'autres espèces qui ont choisi au contraire de les laisser tomber à leurs pieds pour créer des peuplement denses (c'est le cas de la véronique). Mais à l'inverse de l'épilobe, la douce-amère produit des graines trop lourdes pour compter sur le vent pour se disperser. Elle compte donc sur des alliés de choix: les oiseaux. En rendant ses graines toxiques avant la maturité, elle s'assure qu'elles ne seront pas mangées tant qu'elles ne seront pas bien rouges, et donc, que les graines seront prêtes à être disséminées. Et miser sur les oiseaux plutôt que sur les mammifères permet d'avoir des graines qui voyagent plus loin et qui ressortent intact du tube digestif une fois que le rouge-gorge a fini de manger.
Note: les graines de tomate sont elles aussi suffisamment résistantes pour ressortir intactes d'un tube digestif humain. Le climat français n'est pas assez chaud pour qu'elles puissent réellement s'implanter par chez nous de cette façon, mais on trouve quand même quantité de plants de tomate à proximité des stations d'épuration, ou dans les coins discrets planqués derrière les dunes...
Quant à la toxicité du reste de la plante... Parmi les petits noms sous lesquels on a connu la douce-amère à travers les lieux et les époques, on peut citer: "crève-chien" qui ne donne pas trop envie; "nightshade" chez les Anglais qui a un petit côté poétique, mais peu rassurant; "bois félon" toujours chez les Anglais; ou encore "herbe du diable" chez les Espagnols. A dose létale, les effets sont les suivants: "Les premières manifestations de l’intoxication sont d’ordre digestif avec des nausées, des vomissements, des coliques et des diarrhées. Si les doses ingérées sont fortes, les diarrhées deviennent sanglantes et il y a atteinte rénale avec protéinurie et hémoglobinurie, c’est-à-dire présence de sang et de ses constituants dans les urines. Apparaissent ensuite des symptômes neurovégétatifs, dilatation des pupilles (mydriase), accélération du rythme cardiaque (tachycardie), sécheresse de la bouche et des muqueuses, maux de tête, bourdonnement d’oreilles. Apparaissent parfois des délires, des hallucinations et des convulsions évoluant vers une paralysie : coma avec hyporéflexie (affaiblissement des réflexes), troubles respiratoires et cardiovasculaires dont l’issue peut être fatale."
C'est pourtant aussi une plante médicinale utilisée comme dépurative, notamment en cas de problèmes de peau ou de rhumatisme; toutefois, il y a beaucoup de plantes utilisées comme dépuratives qui ont une action assez violente, elles ne sont utilisées qu'à doses très contrôlées, pendant une brève période; pas pour une cure de printemps d'un mois "juste pour se sentir plus légère" ou pour se faire des tisanes "parce que j'aime bien le goût". Être toxique et médicinale à la fois n'a donc strictement rien d'étonnant.
Ce qui est plus étonnant, c'est que des tronçons de branches de douce-amère ont déjà été mâchonnés par des enfants comme on mangerait un bâton de réglisse, juste parce que le goût est sympa. Enfin, sympa... ça commence par un goût plutôt amer, fort et désagréable, caractéristique des saponines; le sucré vient sur la fin.
Attends, attends, mais tu dis ça... tu l'as goûtée ? Avec ce que tu viens d'écrire sur les empoisonnements et tout?
Oui, oui. A toute petite dose, après avoir croisé les sources pour m'assurer que je ne risquais rien d'autre qu'une légère diarrhée passagère si j'en mâchouillais un bout, parce que j'étais curieuse de ses effets.

Ne faites pas ça chez vous, etc, etc, réservée à des professionnel.le.s... Mais j'ai l'habitude de goûter toutes les plantes que je croise tant que je sais qu'elles ne sont pas toxiques à faible dose; et il n'y a pas tant de plantes que ça qui soient toxiques en croquant une demi-feuille, même s'il en existe quand même assez pour ne pas s'amuser à faire ça si on ne connait pas du tout ce qu'on goûte.
Il me semblait, d'après les informations que j'avais, que sa toxicité avait pendant longtemps été très exagérée, et qu'elle trainait une réputation sulfureuse qui n'était pas seulement due à ses alcaloïdes (lesquels ne sont d'ailleurs pas sulfureux, contrairement à ceux du chou. Enfin, je m'égare). Après tout, on a plusieurs témoignages de gens ayant bu des décoctions de douce-amère pendant une semaine pour soigner de l'eczéma ou des toux sèches, je pouvais bien en goûter
une fois.
Bon, bon, mais elle a quoi de si spécial pour qu'elle ait si mauvaise réputation et que tu veuilles en goûter quand même?
Haha. Ben c'est là que vous allez comprendre la raison de l'humeur musicale du jour.
Le suspense est à son comble.
Pour reprendre un témoignage historique sur le sujet (Carrère, 1781), et parce que j'aime ce style tout en euphémisme et en périphrase: « ce remède, écrit J. B. F. Carrère parait chez les femmes porter directement vers les parties naturelles ; il y excite beaucoup de chaleur, quelquefois des démangeaisons : il provoque même l’appétit vénérien ; je l’ai vu produire quelquefois ce dernier effet avec violence. Cet accident n’arrive pas toujours, quoiqu’il soit assez fréquent. »
Et attendez de voir venir le meilleur: elle a également une action contraceptive en bloquant l'ovulation.
En gros, on a une plante de la même famille qu'un tas d'hallucinogènes connues, qui, pour les femmes, donne envie de baiser, tout en limitant les risques de grossesse si on satisfait cette envie hors des liens sacrés du mariage, pas étonnant donc qu'elle traine une réputation de plante à sorcière

( "accident", qu'il disait, tsss...)
(merci de relire le descriptif des risques d'intoxication si vous êtes présentement en train d'envisager de changer de contraceptif parce que votre pilule a tué votre libido. Il n'existe aucune donnée fiable sur le taux d'efficacité de la douce-amère en tant que contraceptif, ou sa posologie pour avoir une chance que ça marche sans risquer de s'empoisonner. On sait que ça existe, on sait pas à quel degré.)
Une plante aphrodisiaque, contraceptive, où la douceur le dispute à l'amer ne peut qu'être associée à des charmes d'amour. On a dit qu'elle pouvait faire revenir l'être aimé si on en plaçait une feuille dans sa bouche, puis sur son bras: si une tâche apparait, le sort a marché. Placée sous l'oreiller, elle était réputée guérir les chagrins d'amour ou autres souvenirs amers (doit-on supposer que la conseiller pour faire revenir un amoureux était une façon de pousser les jeunes filles à, en fait, l'oublier?). Elle est liée à l'idée d'équilibre retrouvé ; ainsi qu'au royaume de féerie, tout comme la digitale, une autre plante à alcaloïdes toxiques nettement plus violente (celle-là, même une feuille pour goûter, c'est niet, elle vous enverrait aux urgences, qui n'ont pas besoin de ça en ce moment). On peut également la placer chez soi dans un endroit secret (de préférence pas le pot aux épices,
ça reste toxique, ok?) pour protéger le foyer.
Et alors, retour d'expérience?
Attention, ça va être peu glamour pour selon que c'est censé être une plante un peu...
Avec tout ça, et au vu des risques encourus, je ne m'amuserais quand même pas à l'utiliser à des fins médicinales ou à en faire une consommation régulière comme confiserie, mais comme les oiseaux l'aiment beaucoup et qu'elle est très belle, j'en ai quand même mis quelques graines de côté pour en faire pousser chez moi.