Chroniques de l’Apocalypse - Traductions, tome 2 : Harry Potter
Bonjour !
Veuillez excuser ce retard, j’ai en ce moment de nombreux projets sur le feu, et ma plume à réponses intégrées est en panne. Voici donc, à la demande générale, des anecdotes en vrac sur la traduction d’Harry Potter !
- Traduire de l’anglais à l’anglais
Il arrive parfois qu’un livre rédigé en anglais soit adapté à un autre public anglophone, pour des raisons culturelles. L’exemple le plus flagrant ici est le titre du premier tome : de “Harry Potter and the Philosopher’s Stone”, titre britannique, on passe à “Harry Potter and the Sorcerer’s Stone” en anglais américain. L’éditeur a expliqué ce choix en disant que le mot “philosopher” pouvait évoquer la philosophie, donc une discipline barbante, et que cela n'attirait pas les jeunes lecteurs. J’ai souvent vu sur Internet des fans anglais se moquer gentiment des Américains, en disant qu’il avait fallu simplifier le livre pour eux. Certains éléments plus courants ont été changés également, comme “crisps” qui devient “chips”.
Je ne l’ai appris que récemment (ouah la fake fan quoi), mais le mot “quidditch” est formé à partir des noms des balles :
Quaffle, Blu
dger, Sn
itch. Dans le lore officiel cependant, le sport a été inventé dans les marais de Queerditch et c’est de là que vient le nom. On perd en français cette relation entre le jeu et les balles, qui deviennent Souaffle, Cognard et Vif d’or.
Jean-François Ménard, que je n’avais pas nommé jusqu’alors, a expliqué que ce processus d’adaptation avait été relativement simple : les noms représentent assez bien l’esprit de chaque maison, de même que les animaux les symbolisant et la chanson du Choixpeau (d’ailleurs, Choixpeau, quelle traduction merveilleuse, sans doute ma préférée). Celle ayant posé problème était “Ravenclaw”, car “Serre de corbeau” tombait à plat. JF Ménard a donc choisi “Serdaigle”, qui règle d’ailleurs le problème du blason comportant un aigle, même en anglais. On trouve maintenant des produits dérivés Serdaigle avec un corbeau pour apaiser la colère des fans, mais il s’agit bien d’un aigle au départ, comme précisé lorsqu’Harry reçoit sa lettre d’admission.
Pour ce qui est de Poudlard, le nom reproduit l’esprit de Hogwarts, en utilisant les mots pou et lard. Le résultat sonne assez anglais au final, et je me souviens avoir rencontré des gens le prononçant “Poudlarde”, à l’anglaise.
- Traduction des noms de personnages
En français, la plupart conservent leur nom original : l’histoire se déroule au Royaume-Uni, donc inutile d’adapter à outrance ou de faire croire que tout le monde est français. JF Ménard a tout de même hésité sur certains noms, par exemple celui d’Hagrid : dans un dialecte anglais, il désigne le fait de faire des cauchemars, de passer une mauvaise nuit. Or, le personnage est une figure positive, JF Ménard ne souhaitait donc pas effrayer les enfants en trouvant un équivalent en français. Par ailleurs, Dumbledore n’est pas traduit pour des raisons similaires : ce mot peut signifier bourdon (en ancien anglais), terme à la connotation soit négative (avoir le bourdon), soit peu glorieuse (franchement, un bourdon ça évoque pas le charisme et la sagesse). En ce qui concerne Rogue, il est dommage que l’on perde l’allitération de Severus Snape, et l’évocation du serpent (en italien en revanche, c’est Severus Piton !) Pour votre culture, le mot rogue existe bien en français, il signifie hautain, arrogant. Il existe aussi en anglais d’ailleurs, ce qui avait conduit des lecteurs à penser qu’il s’agissait du nom original. En anglais, rogue est employé au sens de rebelle ou voyou, ou même voleur (dans World of Warcraft par exemple).
JF Ménard avait déjà traduit de la fantasy et était donc habitué à devoir inventer des mots ou recréer des jeux de mots. Je vous épargne des pavés sur “pourquoi la traduction fantasy est à mon sens celle qui demande la plus grande culture générale”, mais vraiment c’est ce qui lui a permis d’arriver à un texte si riche. Pour éviter de se perdre dans l’histoire, JF Ménard ne traduisait pas de façon linéaire, mais dans l’ordre suivant : premier et dernier chapitre, puis deuxième et avant-dernier chapitre, et ainsi de suite jusqu’au milieu. La pression augmentait à chaque tome, les fans les plus hardcore achetant même la version originale pour découvrir la suite au plus vite. Le rythme était soutenu, à raison de 12 heures par jour ! Pour les derniers tomes, il semble même que se soient ajoutées des conditions de confidentialité extrêmes, qui l’ont conduit à travailler dans les bureaux de l’éditeur londonien. Récemment, le film Les Traducteurs avait pour base la traduction d’un roman hautement attendu. Le réalisateur s’est entretenu avec Jean-François Ménard et le traducteur de Dan Brown pour savoir jusqu’où les éditeurs pouvaient aller pour garder le secret.
- Bonus : erreur dans le film !
Dans la version doublée en français d’Harry Potter à l’école des sorciers, lorsque les fantômes font leur apparition durant le banquet, on entend une élève de Serpentard dire “C’est le sacré baron !” à la vue du Baron Sanglant. Je pense que cette réplique n’était pas présente dans le script, et n’a donc été repérée qu’au moment du doublage (cela arrive souvent, c’est vraiment une réplique en arrière plan). Le studio n’a sans doute pas fait appel au traducteur du script, qui avait certainement travaillé avec le livre sous la main puisque le reste du film reprend bien la traduction du livre. À la décharge du studio, Ron s’exclame souvent “Bloody Hell” en VO, qu’on traduit par “Bon sang”, cela a dû les induire en erreur sur le sens de “bloody”.