C'est compliqué la question de la prudence. A la fois oui on ne devrait pas avoir à être prudent, on devrait pouvoir vivre sa vie tranquille. Mais en même temps on peut pas non plus ne pas se protéger "par principe" puisqu'on vit dans une réalité où même s'il y a toujours un risque on peut essayer d'éviter certaines choses.
C'est compliqué.
Par exemple, il y a quelques années on pouvait laisser les gamins jouer tout seuls. Quand j'étais au Maroc j'avais le droit de me promener toute seule et on ne m'avait jamais appris à avoir peur, juste à ne pas parler aux inconnus même s'ils disent connaître mes parents. Arrivée en France on m'a obligé à prendre le chien en laisse à chaque fois que j'allais me promener, et bien prendre mon portable, et rester sur les routes.
Est-ce que mes parents avaient tord de m'obliger à être prudente ? Est-ce qu'il fallait me laisser faire ma vie tranquillou "par principe", parce qu'on devrait pas avoir à faire attention et se considérer comme des potentielles victimes ? Est-ce que je n'aurais pas eu le droit d'en vouloir aussi à mes parents s'ils avaient étés plus laxistes ?
Qu'est-ce qui est le plus important : les principes ou la réalité du monde ? Je crois que c'est une question qui n'a pas de réponse absolue.
Personnellement maintenant je suis beaucoup plus prudente depuis mes viols, certains dirons angoissée. Parce que si je ne l'étais pas et qu'il m'arrivait quelque chose, je m'en voudrais terriblement -ce qui ne veux pas dire que je culpabiliserais autrui-. Alors j'ai un judas, je ferme la porte à clef si je suis seule, je marche toujours sur le trottoir inverse du sens de la circulation, j'évite certains endroits la nuit, j'ai appris des techniques de self-defense y compris au sol, je connais l'astuce de taper son code de CB à l'envers sur les distributeurs pour appeler automatiquement les flics... Ça me rassure, parce que ça me donne un certain contrôle : j'évite des risques, même s'il y en aura toujours.
Personnellement, je sais bien que dans l'idéal je ne devrais pas avoir à faire tout ça. Mais en même temps j'ai pas envie de prendre des risques que je peux éviter parce que ça fait partie des choses que je me sens de faire (alors que par exemple, m'empêcher de sortir le soir non, ça je m'en empêche pas, mais d'autres personnes oui).
A chacun ses limites dans la prudence, c'est à dire que tout le monde n'a pas envie d'avoir le même niveau de prudence, et c'est le choix de chacun. Mais est-ce qu'il faut rejeter le principe même de prudence ? Est-ce qu'il faut mal voir les gens qui donnent des conseils de prudence, notamment les parents ?
Par exemple, est-ce que c'est vraiment mal de dire à quelqu'un "tu devrais désactiver la géolocalisation" ? Après, c'est à la personne de choisir de le faire ou non, et personne n'a a la culpabiliser s'il lui arrive quelque chose, on est d'accord. Je trouverais juste ça irresponsable de ne pas avertir les gens, parce que ça peut sauver des vies.
Si je peux faire un parallèle : on averti les gens que la clope c'est dangereux, que ne pas mettre sa ceinture peut être fatal, qu'il faut garder son sac près de soi. Et je trouve ça bien de les avertir. Après, c'est à la personne de choisir ce qu'elle veut faire, et on ne la jugera pas. On ne dira pas à quelqu'un qui chope un cancer "t'avais qu'à pas fumer c'est de ta faute", ni à quelqu'un qui a un accident "t'avais qu'à mettre ta ceinture c'est de ta faute", ni à une personne qui n'avait pas son sac sur les genoux "t'avais qu'à pas le quitter des yeux c'est de ta faute". Non, leur assurance les prendra en charge et puis voilà, pas besoin de rajouter au malheur de la personne en la faisant culpabiliser. Et bien je pense qu'on devrait faire pareil pour tout ce qui a trait aux agressions sexuelles : prévenir, et après c'est la personne qui voit si ça rentre dans ses limites de la prudence.
Bref, je trouve cette question très complexe, et je ne pense vraiment pas qu'il y ai une réponse à cette question. Ça dépendra de ce qu'on, en tant qu'individu avec ses propres valeurs et avis, considère le plus important : l'idéal ou l'adaptation à la réalité.
[edit] Ici je ne parle bien sûr que du côté "potentielles victimes", mais évidemment il faut coupler ça avec l'éducation du côté "potentiel coupable" (et on peut tous être les deux, alors si j'étais parent je pense que je préviendrai et éduquerai).