Je voudrais parler de ma soeur.
Pour comprendre un peu : 13 ans, en 4ème dans un collège tranquille en campagne. Le collège est privé, petit, les élèves sont pas mal encadrés et écoutés. Le même collège où j'ai été scolarisée. Elle a vécu pendant 10 ans avec mes parents et moi, et maintenant elle vit surtout avec mes parents, vu que je suis partie faire mes études dans une autre ville et que je ne rentre que pour les vacances.
Elle est bavarde, intelligente, et féministe, déjà.
Alors j'ai été surprise de l'entendre depuis un mois ou deux dire des choses racistes. D'abord quand il y a eu des cambriolages dans mon village. Elle me racontait qu'elle surveillait par la fenêtre, pour voir si personne de louche ne passait dans la rue. Innocemment, je lui ai demandé "mais comment tu peux savoir qu'une personne est louche ?". Honnêtement je m'attendais à une réponse du type "il regarde derrière lui, passe plusieurs fois alors qu'il passait jamais avant et habite pas dans le coin" etc...
Non. Malheureusement non. Au lieu de ça, j'ai entendu "bah s'il est musulman ou étranger". BAM. J'ai pas perdu mon calme, j'ai continué à discuter : "mais comment tu sais qu'une personne est musulmane juste en la voyant marcher dans la rue ?" "bah à sa tête, enfin tu sais bien..." BAM. Là je lui ai répondu que c'était raciste. "Non, je suis pas raciste, mais tu vois bien qui sont ceux qui foutent la merde" BAM. "qu'est-ce qui te fait dire ça, c'est pas à Saint-*** que qui que ce soit a pu foutre la merde ?" - "Bah ça ce voit, tout le monde le sait ! Dans les reportages, à enquête d'action et tout c'est toujours les mêmes qui ont fait des trucs, qui embêtent les gens..." BAM. Bon...
Ça m'a fait maaaaal. Bam, bam, bam. Ça peut paraître exagéré, mais j'ai pris ça comme des balles. Ma petite soeur, si futée en matière de sexisme, qui balance des bombes comme ça... On a eu la même éducation, c'est pas mes parents qui lui ont mis ce genre de discours dans la tête.
J'ai essayé, avec le plus de patience possible, de déconstruire ça. Je lui ai expliqué la différence entre Arabe et Musulman. Ensuite je lui ai parlé de la discrimination, de la manipulation, de la façon qu'ont les médias, certains en tout cas, de montrer les choses comme ils le veulent. Que ce qu'on entend comme étant une vérité ne l'est pas forcément. J'ai essayé d'illustrer de façon concrète, avec des exemples issus du combat de féministes, puisqu'elle le comprend, ou de son quotidien, par exemple :
" c'est qui la personne qui est la moins sympa de ton collège, la plus bête et la plus méchante ?
- Truc muche, avec ses copains ils font ci et ils font ça.
- Bon, imagine on fait un film dans ton collège, et on ne filme que truc muche et ses copains. On les voit dire des trucs méchants, et embêter des gens. On les montre eux et on montre pas les gens gentils. On montre que des méchants. Et on appelle le reportage "les élèves du collège Bidule". Tu en penses quoi ?
- Mais non, y a pas qu'eux dans le collège !
- Tu crois que ça donnerait une bonne image du collège ?
- Bah non, les gens penseront qu'on est méchants.
- Exactement. Pourtant le reportage aura montré qu'un petit groupe d'élève, ça veut pas du tout dire que tout le collège est comme eux ! Ça serait du mensonge, tu crois pas ?
- Oui, on est sympas en plus
- ça serait pas cool de tous vous mettre dans le même sac avec ces idiots, hein ?"
Et je l'ai fait sortir de cette situation ensuite, pour faire le parallèle avec les reportages sur "ceux qui foutent la merde". Je suis pas rentrée dans les détails, je voulais juste lui montrer que les reportages sont un angle de vue, précis, choisi, rarement objectif. Que les mecs qui font les reportages font dire ce qu'ils veulent à leurs images. Comme le mec qui aurait fait un reportage faux sur son collège. Donc qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on voit.
Je pense que ça elle l'a compris. Elle a compris la manipulation, elle a compris la discrimination (à partir d'exemples du sexisme).
J'ai pris sur moi, mais j'étais contente d'avoir eu cette discussion avec elle. J'ai essayé de baser son regard sur des gens qu'elle connaissait qui pouvaient être d'origines multiples. J'ai essayé de lui montrer que l'immigration ça n'est pas un fléau comme on veut bien le faire croire. J'ai essayé.
Quand je lui ai téléphoné après la tuerie à Charlie Hebdo, je m'attendais à ce que tout ça lui ait été bénéfique. "Ouais mais bon, c'est toujours les mêmes..." - "Quoi, toujours les mêmes ?" - "Bah Saïd et je sais pas quoi." Ok. Raté. J'ai retenté de lui expliquer qu'il y avait des gens biens partout, qu'il fallait pas stigmatiser un groupe parce qu'il y avait quelques monstres parmi eux. Mais je n'ai pas réussi à être patiente cette fois, je n'ai pu faire aucun effort de pédagogie, j'ai juste fini par lui raccrocher au nez.
Pourquoi ma soeur, blanche, dans la classe moyenne sans problème d'argent, bonne élève, cultivée, curieuse, intelligente, vivant dans une famille tolérante et ouverte, qui n'a jamais été confrontée à des violences ou à des menaces, à quoi que ce soit qui pourrait expliquer des opinions tranchées, peut dire ça ?
QUI lui a mis ça dans la tête ? POURQUOI ce que sa soeur lui dit ne réussit pas à enrayer ces idées ?
Ça me rend profondément triste et je me sens démunie.
Sinon, j'ai demandé à ma mère enseignante si elle avait discuté des événements avec ses élèves de CM2. Elle ne l'a pas fait, déjà parce qu'elle est en mi-temps donc elle ne les a vus que le lundi après la fusillade, donc l'autre enseignante, elle suppose, a dû faire la minute de silence et en parler. Elle n'a pas souhaité remettre le sujet sur le tapis, car elle trouve compliqué, avec des enfants de 10 ans, d'évoquer ces sujets. Elle a peur de les coincer entre l'opinion de l'école et l'opinion des parents, que cela soit difficile à gérer pour eux. Je ne suis pas d'accord avec elle, mais je comprends un peu. De ce qu'elle me raconte, les parents sont tellement exigeants, critiques et réac' face aux enseignants, à leurs décisions et autres qu'instaurer un débat politique au sein de la classe pourrait encore plus compliquer les choses.