D’un point de vue strictement personnel, j’ai le souvenir comme tout le monde d’avoir vécu des traumatismes littéraires avec des livres vraiment difficiles à avaler… Mais aussi de super découvertes d’auteurs pas forcément récents.
Je trouve que de nombreux commentaires se basent sur des souvenirs plus ou moins mauvais, mais très personnels, et je pense qu’il faut y réfléchir de façon plus large. Je suis à 200% pour la lecture plaisir, et je ne considère aucun genre comme supérieur à un autre.
Mais il me semble que si on réfléchit du point de vue de l’école et de ses missions, le fait d’imposer des lectures est important, et surtout des auteurs classiques. Le rôle de l’école n’est pas de nous donner envie de lire, mais de nous donner d’abord, au primaire, un niveau suffisant en lecture et orthographe. Et ça c’est déjà de plus en plus compliqué, car de mon point de vue ce n’est pas la seule mission qu’on demande à l’école, et que l’école n’assure plus seulement l’instruction comme avant, mais bien l’éducation au sens large, et se trouve amenée à faire l’éducation des enfants, à gérer des problèmes de comportements… Je côtoie beaucoup d’enseignants et de professeurs, et en les écoutant, j’ai l’impression que la majeure partie du temps de classe n’est pas dévolue à l’apprentissage mais au maintien d’un calme suffisant et souvent relatif pour transmettre les apprentissages.
Le rôle de l’école secondaire est de permettre d’accéder à un socle commun de connaissances pour faire de nous une personne capable de pensée critique et de prise de recul, un citoyen capable de penser et de se situer dans la société en faisant autre chose que de la consommation. Ne pas imposer les auteurs classiques, c’est nous refuser de construire notre pensée. Et même si certains auteurs sont difficiles et leurs livres défraichis, ils permettent d’aborder une époque, des courants de pensée… Libre au professeur de faire ses choix pédagogiques pour faire naître le désir de découvrir tous ces auteurs, certaines Madz témoignaient d’ailleurs de supers méthodes et démarches de profs motivés et passionnés.
Ensuite, je voudrais souligner (et là c’est mon rôle d’orthophoniste qui prend le dessus) que le développement du langage oral se fait, une fois que nous sommes entrés dans le langage écrit, par le biais de celui-ci. C’est un processus qu’on appelle la littératie, et qui enrichit notre niveau de vocabulaire et de langage, et donc de pensée et d’intelligence (et donc de réussite scolaire). Et ces structures de phrases et ce vocabulaire complexe sont très présents dans les grands classiques. Il est donc pour moi très important de proposer des livres difficiles qui viennent justement développer et enrichir notre niveau de langue, quelle que soit notre origine sociale, et c’est ce qui peut permettre justement de ne pas accentuer les inégalités et de donner les mêmes chances à tous. Si on n’impose pas, on enferme dans ce que chacun connaît déjà.
Enfin, pour finir mon pavé (j’ai l’impression d’avoir écrit une dissertation au bac
, quand je vois que certains livres jeunesse comme
le Club des Cinq sont aujourd’hui réécrits en supprimant le passé simple jugé trop difficile, je me pose des questions sur ce nivellement par le bas qui s’opère (
https://bibliobs.nouvelobs.com/roma...-simple-et-pas-mal-d-autres-choses-aussi.html). Attention, je ne mets pas toute la littérature jeunesse dans le même panier, loin de là. Mais je trouve qu’il y a une offre importante et de qualité très variée. Et beaucoup de publicité pour tous ces romans Young Adult qui ont déjà beaucoup de visibilité et sont facilement trouvables dans n’importe quelle librairie. Alors que les grands classiques ne bénéficient pas de cette mise en avant, et c’est l’école qui les propose et les impose, sinon je doute que les jeunes lecteurs les choisissent et les lisent de leur plein gré.
Pour celles qui sont intéressées par ce concept de littératie, je vous invite à lire l’article de Régine Pierre (professeur à la faculté des sciences de l’éducation à Montréal) à ce sujet :
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2003-1-page-121.htm. Certains passages se lisent facilement, même sans connaissance des concepts linguistiques, d’autres sont un peu plus ardus, mais elle développe plein d’idées intéressantes sur l’écriture, son histoire et son rôle.