Je trouve cette discussion très intéressante et enrichissante, notamment sur la question du genre et ce que ça signifie selon les différentes conceptions abordées.
Mais pour moi le principal objet de tension ne se situe pas là ; on peut ne pas avoir tou.te.s le même point de vue, ce qui importe est de se respecter les un.es les autres sans empiéter sur les droits / les sentiments des un.es et des autres.
Or c'est justement ce qui peut poser problème, à mon avis. Pas qu'on ait des opinions ou vécus différents, mais que parfois certains éléments, quoi qu'on y fasse, entrent en conflit d'intérêt et offensent nécessairement quelqu'un.
Un exemple parlant, pour moi, c'est l'utilisation du terme « femme ». On peut tout à fait être d'accord pour dire que c'est un terme qui peut recouper plusieurs dimensions
selon le contexte dont on parle. Je caricature mais en gros on en trouvera principalement trois : une dimension
biologique (liée au corps),
sociale (le vécu en société, la culture) et
identitaire (le genre).
Prenons par exemple la lutte pour le droit à l'avortement. On est bien d'accord pour dire que c'est une lutte
majeure et clairement «
féministe », donc liée aux «
femmes » (j'enfonce des portes ouvertes mais c'est aussi pour rappeler que le terme « féministe » est en rapport avec le terme « femme »). C'est une lutte qui d'ailleurs est toujours d'actualité.
Mais pouvoir avorter est un fait qui concerne uniquement les personnes ayant un utérus. C'est donc basé sur un élément biologique avant tout.
Par ailleurs, le social est aussi un élément majeur à étudier dans la lutte pour le droit à l'avortement (comment le fait d'avorter est perçu dans la société, quelles sont les croyances à ce sujet et comment elles ont évolué, comment la religion peut les influencer...).
En revanche, la question du genre et de l'identité (se sent-on femme ou pas) n'est pas forcément la plus pertinente quand on parle de droit à l'avortement, ou en tout cas ce n'est pas le principal aspect. Je dirais même qu'elle n'est pas prise en compte.
Du coup...
Quand on parle de « femmes » et de « droit à l'avortement », le terme de « femme » est utilisé uniquement dans un sens biologique et social, mais pas lié au genre. Il est donc utilisé de façon « incomplète », si on peut dire. Effectivement, quand on parle de femmes qui avortent, on pense en fait aux personnes ayant un corps « typiquement » féminin (utérus, etc) qui avortent.
Et donc... Le problème que ça cause est, qu'aujourd'hui, des personnes peuvent se sentir offensé.es parce que la question du genre n'est pas soulevée. Des hommes trans, par exemple, pourraient ne pas se sentir pris en compte dans leur genre si on parle de « femmes qui avortent » dans un article (alors que le sujet peut les concerner aussi).
Donc, si on voulait être inclusif.ve / politiquement correct.e jusqu'au bout, on devrait plutôt parler de « personnes à utérus » dans le cadre de lutte pour l'avortement, non ? Puisque le terme de « femme » (mais sans prendre en compte le genre) pourrait être vu comme transphobe...
Et c'est là que ça coince.
C'est aussi là qu'on peut ne pas être d'accord, mais personnellement je trouve problématique de s'empêcher d'utiliser le terme « femme » pour cette raison. En tant que femme, je trouve offensants certains termes qu'on retrouve aujourd'hui comme « personnes à utérus », servant de périphrase maladroite pour éviter d'utiliser le mot « femme ».
Je comprends que cette initiative parte d'une bonne intention (vouloir que plus de personnes se sentent incluses dans leur genre), mais si ça offense d'autres personnes, alors... c'est raté ?
Et puis le problème, ce n'est pas uniquement que le terme en soi puisse déplaire, c'est aussi ce qu'il veut dire, ce qu'il prend en compte (ou pas) et ce à quoi il fait référence.
Un exemple simple : si on publiait un article du genre « Le droit à l'avortement enfin voté en Irlande, une grande victoire pour les personnes à utérus » ?
Ben personnellement ça me heurterait. J'aurais l'impression que le mot « femme » (et toute l'histoire qu'il recoupe) est invisibilisé.
Et surtout ce terme pose encore plus problème que « femme », finalement, parce qu'il ne prend en compte QUE l'aspect purement biologique, et on peut le trouver déshumanisant (voire tout simplement moche).
Ce qui est très problématique aussi, c'est qu'il exclut totalement l'aspect sociologique autour de la question de l'avortement, qui est pourtant de base une question de société (pour plusieurs raisons, comme je l'ai évoqué au-dessus).
Bref, il dépouille le combat de son aspect politique et historique, en le ramenant à une réalité purement corporelle et neutre.
Donc... Il est finalement
encore plus excluant que le terme « femme ». Ce qui en fait une fausse bonne idée.
Pourquoi je dis tout ça vous me direz ?
Parce que je trouve qu'on ressent de plus en plus une certaine pression, pour ne pas dire obligation, d'utiliser certains termes à la place de « femmes », notamment dans des contextes comme celui-là (ou celui des règles). Et ça peut être très mal vécu, comme une façon de « réécrire » l'histoire et de se faire « confisquer » le terme de « femme ».
J'ai vu des posts qui disaient que c'était un fantasme, je ne suis pas d'accord. On trouve de plus en plus ces termes-là dans des articles, y compris sur Madmoizelle.
Je trouve aussi qu'il y a de grosses crispations autour de ce qui concerne les « femmes » ou pas.
Un exemple récent, dans cet article :
http://www.slate.fr/story/217596/mo...unis-personne-qui-a-ses-regles-trans-inclusif
En gros, l'article questionne notamment le fait de dire « personne qui a ses règles » au lieu de « femme » (j'ai mis en gras certains passages).
Je mets en spoiler parce que c'est long.
Bref.
Si on préfère, pour les raisons évoquées au-dessus, continuer à utiliser « femme » dans certains contextes (y compris dans un sens où le genre n'est pas pris en compte), on risque juste de passer pour une mauvaise personne transphobe et de se faire reprendre. C'est ça que, personnellement, je trouve extrêmement pesant (pour ne pas dire oppressant). Je ne veux pas qu'on soit forcé.es d'utiliser certains mots sous peine de se faire traiter de mauvaise féministe. Je ne veux pas qu'on vienne nous faire du « tone policing » parce qu'on a osé préféré l'utilisation du mot « femme » dans le but de prendre en compte d'autres dimensions, comme la dimension sociologique du terme (et PAS pour le plaisir de vouloir exclure les personnes trans, il va falloir arrêter avec les procès d'intention).
Est-ce qu'on peut se mettre d'accord sur le fait que quand on dit « femmes » en parlant de « femmes qui avortent », par exemple, évidemment qu'on sait que toutes les femmes n'ont pas d'utérus, et évidemment que
pour ce cas précis on utilise le terme dans son sens sociologique et biologique uniquement. Mais qu'on n'a pas forcément envie pour autant de dire tout le temps « personnes à utérus », et que c'est OK (sans qu'on vienne nous demander de le changer) ?
Parce que je crois que cette utilisation du langage, c'est l'une des principales crispations / incompréhensions autour du sujet, en fait.
On a trop lutté, trop longtemps, pour rendre les femmes plus visibles... Pour accepter que le terme « femme » lui-même devienne invisible (ou dépouillé de ses aspects sociologiques et biologiques, ce qui n'est pas forcément mieux).
C'est là où on se trouve sur un conflit d'intérêt :
→
Si on dit « femme » dans le sens « personne de genre féminin », on évacue les questions plus terre-à-terre qui concernent le féminisme (et notamment ce qui est lié aux corps féminins). On rend impossible (ou inacceptable socialement) le fait de nommer ces problèmes comme des problèmes « de femmes » (donc... comme des problèmes « féministes »?)
Or, c'est cette définition qui (de façon assez arbitraire) semble s'utiliser davantage pour être « correct.e » aujourd'hui, et c'est justement ce qui est critiquable.
→
Mais si on dit « femme » dans le sens biologique du terme, on évacue la question de l'identité de genre. De mon point de vue, c'est une question qui est légitime et si des personnes se sentent homme ou femme, on les respecte et on les genre comme ielles le souhaitent. Mais je rappelle quand même que c'est une identité qui se base apparemment sur un ressenti (avec des définitions assez peu claires, personne n'a l'air vraiment capable de l'expliquer) et qu'on est nombreux.ses à ne pas vraiment « ressentir » de genre, ou à le considérer comme une question secondaire. En fait si j'ai bien compris c'est le positionnement du féminisme radical, qui traite en priorité les questions plus « pragmatiques » liées au corps et à la sociologie des femmes.
Alors... On fait quoi ?
Le problème, finalement, c'est que ce terme recoupe beaucoup de notions qui n'ont pas forcément à voir les unes avec les autres (selon le contexte), et qui peuvent même entrer en opposition par moments.
Donc... On accepte de se faire appeler « femelle humaine » ou « personne à utérus » pour ne pas offenser certaines personnes (sauf que ça en offensera d'autres et que c'est réducteur) ? On continue à utiliser « femme », mais en précisant à chaque fois « attention, dans le sens sociologique et biologique du terme » ?
Franchement je n'ai pas de solution satisfaisante, j'ai juste l'impression que tout le monde se tire dans les pattes et c'est vraiment fatigant.
Pour en revenir à l'article que j'avais posté plus tôt, voilà ce qui est suggéré (je suis assez d'accord, mais on peut ne pas l'être bien sûr...) :
Je tenais juste à partager mes interrogations parce qu'après avoir lu ces commentaires, ce débat, et probablement beaucoup appris, je ne sais toujours pas quoi en penser (à part que ça m'énerve et me fatigue de voir ce que je considère comme des dérives).
PS : et sinon, pour en revenir à l'article plus précisément, je pense aussi qu'il est risqué de mettre toutes les personnes qui se questionnent à propos du genre ou des mots employés dans le même panier. Personnellement je trouve choquant de s'imaginer que des femmes trans s'amuseraient à infiltrer des mouvements féministes pour le fun, ou à aller dans des toilettes pour femmes afin d'agresser les gens, ça me paraît plutôt un gros fantasme. Quant aux thérapies de conversion, ce n'est tout simplement pas le même sujet alors je ne comprends pas bien que des personnes veuillent mettre les transitions de genre dans le même panier.
PPS : j'ai mis 50 ans à réfléchir à ce post et à l'écrire, donc je me réserve le droit de ne pas forcément débattre sur le sujet. Si vous décortiquez point par point tout ce que j'ai écrit, vous en avez le droit, mais je ne suis pas sûre d'avoir l'énergie d'y répondre (je préfère prévenir pour que ça ne soit pas mal pris). En revanche je vais certainement continuer à lire ce que vous écrivez et à Biguper
