Bien bien bien. Je n'ai pas lu l'intégralité des 231 commentaires (Oh la la ! ) et je suis donc sûre et certaine que mon post passera totalement inaperçu au milieu de cette vague de réactions. D'autant que je vais probablement redire plein de trucs qui l'ont déjà été.
Il y a encore un mois, je préférais que l'on m'appelle "mademoiselle". Je n'avais pas forcément réfléchi en long en large et en travers à la question, seulement je suis plutôt jeune (j'ai 27 ans et on m'en donne systématiquement moins, ce qui tantôt me flatte et tantôt m'agace), je ne suis pas mariée, n'est même pas sûre d'avoir envie de l'être un jour, et puis j'ai toujours l'impression que quand on me qualifie de "madame" c'est pour m'assigner un statut social, une façon de s'immiscer dans ma vie en me demandant si je suis mariée ou non, et si je dépend plus ou moins d'un homme.
Pourtant, étant moi-même militante et adhérente d'un mouvement féministe, je savais depuis 6 mois que cette campagne, revendication féministe historique, était en chantier. Et pour tout dire, je l'attendais donc impatiemment, histoire de comprendre pourquoi ce terme suscitait tant de haine.
Je me suis donc documentée et en comprenant les enjeux, j'ai changé d'avis (après tout, parait-il, il n'y a qu'aux imbéciles que ça n'arrive jamais) : je refuserai donc à présent systématiquement qu'on m'appelle "mademoiselle". Si un homme s'en avise il recevra en échange un "mondamoiseau".
En fait "mademoiselle" est bien un terme discriminant : il signifie en gros "oie blanche", "jeune pucelle un peu niaise". Alors je suis d'accord que lorsque quelqu'un nous interpelle ainsi, il ne sous-entend sûrement pas cette étymologie. Mais c'est le fait que le terme persiste alors que son équivalent masculin est depuis longtemps déconsidéré et tombé en désuétude qui relève presque de la violence symbolique. Car cela représente l'idée que les hommes sont toute leur vie des êtres matures et responsables et qu'on se fiche également de s'enquérir de leur niveau de maturité sexuelle, tandis que pour les femmes, cette distinction est acceptable. Ainsi, moi qui m'offusquait que l'appellation "madame" me renvoie mon statut matrimonial à la tronche, j'avais pris le problème à l'envers : c'est le "mademoiselle" qui veut ça. Ce terme participe de l'idée qu'une femme ne peut pas être indépendante, qu'elle n'existe jamais qu'en tant que propriété d'un homme, généralement son père d'abord, puis son mari. Bref, c'est un archaïsme sexiste.
Donc je pose la question : de la même manière qu'on ne tolère plus (et c'est normal) la tenue des propos racistes dans la société d'aujourd'hui, pourquoi défendre à cors et à cris une appellation sexiste et archaïque ?
Ça fait jeune ? Ça sonne bien à l'oreille ? Oui, certes, mais bon, est-ce que les mots servent à faire de la musique verbale ou est-ce qu'ils servent à exprimer des idées ? Est-ce que c'est si grave de vieillir ? D'ailleurs si comme pour les hommes, on nous appelait "madame" dès notre plus jeune âge, cette impression de vieillir en passant du "mademoiselle" au "madame" n'aurait plus lieu d'être. (J'avoue ne pas comprendre cet argument d'opposition de toute façon : une intervention que j'ai lue sur un autre site web disait un truc du genre "Et mes élèves de 11 ans, je vais les appeler "madame" aussi, c'est ridicule !" Et pourquoi donc ? Lorsque j'avais 11 ans mon prof de latin appelait les garçons de ma classe "Monsieur Untel" alors qu'ils avaient 11 ans aussi, et personne ne trouvait ça ridicule. Je ne vois donc pas en quoi son équivalent féminin le serait.)
Le fond du problème, c'est que cette distinction induit une situation inégalitaire entre les hommes et les femmes dès le plus jeune âge : puisque dès la naissance, les hommes sont reconnus en tant que "monsieur", c'est à dire des individus libres et indépendants tandis que les filles ne sont que des "mademoiselles" ; aussi remplacer le terme par un autre sans étymologie connotée ne résoudrait pas le problème puisque ça maintiendrait la distinction ! (Même si "Moumoune" j'avoue, ça peut être marrant ! =D )
Or le langage est très important, parce qu'encore une fois c'est le langage qui permet d'exprimer des idées, et c'est par conséquent le premier vecteur des stéréotypes sexistes. Je suis donc favorable à la suppression de tout terme dévalorisant, exactement de la même façon que je suis contre tout terme induisant une dévalorisation raciale. Je m'offusquerai dès à présent d'un "mademoiselle" comme je m'offusque depuis toujours quand des beaufs parlent de "négros" et de "bougnoules" et ça me semble logique.
En survolant les réactions ici, j'ai vu que certaines se demandaient pourquoi on parle de "féminisme" et non d' "humanisme". Eh bien là encore parce que les termes sont importants. (Et je l'avais déjà expliqué dans je ne sais quel autre débat sur ce même forum).
D'une part l'humanisme est techniquement un courant philosophique, historique et artistique, daté et précis.
D'autre part, si on prend le terme dans une acceptation plus contemporaine, oui le féminisme est un humanisme. Mais il en est une forme particulière, l'humanisme étant quelque chose de beaucoup plus englobant.
De plus le terme "féminisme" est extrêmement important : parce que le féminisme a une histoire, c'est un combat qui dure au moins depuis les années 60 et qui a permis aux femmes d'acquérir certains droits. Ça ne veut certainement pas dire que tout est acquis, loin de là, il y a encore beaucoup à faire. Or se revendiquer "féministe", c'est affirmer qu'en connaissance de cette histoire, de ce combat, nous inscrivons notre cause dans sa continuité afin de parvenir un jour à une ÉGALITÉ RÉELLE. Et c'est pour cela que les gens qui persistent à bêler que les féministes veulent émasculer les hommes et asseoir la domination des femmes sont soit d'une mauvaise foi extrême, soit parlent dans le vide d'un sujet sur lequel ils sont peu ou prou renseignés, soit n'y ont absolument rien compris. Parce que je ne veux pas être méchante, mais pour continuer à voir un rapport de domination dans un truc qui revendique et écrit partout le mot "ÉGALITÉ", il faut vraiment porter de sacrées ?illères ! (Encore plus en France à mon sens, puisque la devise de la république française dit bien "liberté, égalité, fraternité". L'égalité est une valeur républicaine fondamentale, pourquoi donc tant de réticence à la réaliser ?)
Bref, pour en revenir à cette histoire de "mademoiselle", personne ne prétend dire aux femmes si elles doivent se faire appeler ainsi au quotidien ou pas. Elles sont averties qu'il s'agit d'un terme discriminant, donc personnellement, je trouve bizarre de vouloir être discriminée mais ça c'est le problème de chacune. Ce dont il est question, c'est de le supprimer pour tout ce qui est administratif.
Il s'agit de ne pas avoir à indiquer sa situation maritale et sexuelle à chaque fois que l'on remplit un formulaire, estimant que la sexualité et la situation matrimoniale des femmes ne regardent qu'elles-mêmes. D'autant que ce n'est pas obligatoire et que plusieurs circulaires légales votées à l'Assemblée Nationale et au Sénat reconnaissent qu'il s'agit d'une discrimination, que votre collecteur d'impôt n'a pas à savoir si vous êtes mariée, célibataire, vierge ou vice-versa. (De la même façon qu'en principe, vous n'avez pas à l'inscrire sur un CV et que votre employeur n'a pas à le demander. Ca j'espère que tout le monde le savait d'ailleurs...) Je ne vois donc pas ce qui suscite un tel tollé, à moins de considérer comme normal que l?État interfère dans votre vie privée.
Cela n'implique donc pas de changer le nom du site, ça n'implique pas de gifler tout malotru qui oserait vous interpeller avec un "Mademoiselle vous êtes charmante" (quoi que, si, en fait, giflez-les, ça leur fera peut-être réaliser le peu d'efficacité de cette méthode de drague à deux balles super reloue), ça n'implique pas de fusiller votre enseignante de primaire parce qu'elle tenait absolument à se faire appeler "Mademoiselle" à plus de quarante balais.
Ça implique seulement de défendre qui que ce soit de s'immiscer légalement dans votre vie privée. Et cette mesure a déjà été adoptée dans de nombreux pays européens sans que ça pose un quelconque problème d'organisation sociale, ce n'est quand même pas la mer à boire.
Par contre, il y a un "non-argument" que je n'accepterai pas, et qui me hérisse au plus haut point. C'est le "Y a plus grave dans le monde". A chaque fois qu'on mène une campagne quelconque, on nous ressort cette histoire du "y a plus grave". Dans la vie on peut toujours tout relativiser : on trouve toujours plus malheureux que nous, événement plus grave que celui qui nous touche. Je n'ai pas l'impression que ça empêche les gens de se plaindre de leurs petits tracas personnels. D'ailleurs je crois que personne ne songerait à dire à une copine qui par exemple pleure sur sa séparation récente "Oh ben y a plus grave dans le monde !" et pourtant il y a effectivement plus grave. Je ne crois pas non plus que pour rester dans le parallèle avec la racisme, quelqu'un songerait à interpeller un militant du MRAP s'indignant d'avoir entendu un politicien proférer une injure raciste avec un "Oh mais c'est bon, il y a plus grave dans le monde".
Les mouvements féministes luttent quotidiennement pour fin des discriminations professionnelles ; contre les violences faites aux femmes ; contre les stéréotypes de genre dont sont victimes les femmes, les hommes, les enfants et la communauté LGBT ; contre le viol ; contre le harcèlement ; pour la liberté des femmes dans des régimes où elles n'ont encore aucun droit ; et j'en passe, ce serait un peu long. Qu'on vienne pas me dire que ce ne sont pas des causes importantes, pourtant à chaque fois il se trouve quelqu'un pour balancer un piètre "Y a plus grave dans le monde". En fait c'est surtout un bon prétexte pour ne pas se bouger le cul, parce que c'est trop fatigant. Les gens qui balancent ça en général sont précisément ceux qui ne se mobilisent jamais pour rien et se laissent vivre en attendant que la société change toute seule.
Personnellement par exemple, la cause animale m'intéresse bien que je ne milite pas pour défendre les animaux. (On ne peut pas tout faire en même temps !) Il ne me viendrait cependant certainement pas à l'idée d'aller balancer à un militant de la SPA qu'il "y a plus grave dans le monde" que les tests cosmétiques sur les yeux des animaux.
Ce que je veux dire par là, et ce sera la conclusion de ce pavé qui ne sera probablement pas lu par beaucoup de monde, c'est que tout combat pour la justice est bon à mener, petit ou grand, et que le moindre petit combat peut avoir des conséquences favorables pour les plus essentielles des luttes.