C’est la première fois que je laisse un commentaire sur le site. Mais le sujet me touche. J’ai senti comme de la culpabilité lorsque je vais vu ce spot pour la première fois. Après tout, c’est vrai que c’est possible d’élever un enfant trisomique, qu’il peut être heureux et qu’on peut être heureux de vivre à ses côtés, que ce soit en tant que parent, frère, sœur… Bref, ce n’est pas non plus la nouvelle du siècle, on le savait déjà. Mais alors pourquoi je me sentais si mal à l’aise, voire même en colère, à chaque fois que je le regardais ? Jusqu’à il y a peu où je me suis dit, mais merde, où est la question du choix dans ce spot ?
Oui, il est urgent de changer le regard sur les personnes atteintes d’handicap, que ce soit la trisomie, le handicap mental ou physique, mais il est aussi urgent de rétablir le droit d’avoir le choix. Je ne démens pas le fait qu’on puisse être l’heureux parent d’un enfant trisomique ou d’un enfant atteint d’un tout autre handicap, mais lorsque ceci résulte d’un choix, cela facilite beaucoup le bonheur. Manque de chance, ma mère, elle, n’a pas eu le droit au choix.
J’ai un grand frère qui me précède d’un an et demi. Moi et lui, le jour et la nuit, cela ne nous a pas empêché de vivre une enfance heureuse à la campagne avec une complicité… fracassante parfois, mais cela ne m’empêchais pas de le coller comme une moule à son rocher ! Bref, deux enfants formidables (en toute objectivité bien sûr) donc pourquoi pas le petit dernier pour la route… et voilà le ventre de ma mère qui s’arrondit, cool !
La suite, je vais la raconter à travers ce que ma mère m’a raconté, parce que j’étais trop jeune pour me rendre compte de ce qui s’est passé et que ma mémoire de poisson rouge a jeté un flou artistique dans mes souvenirs. Mais ce qu’elle m’a raconté m’a permis de comprendre certains souvenirs, d’atmosphère, d’ambiance, que je ne comprenais pas.
Ma mère, ayant déjà vécu deux grossesses, ne comprenait pas pourquoi elle perdait beaucoup de poids au début de la grossesse et que le bébé grossissait péniblement. Elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond, que cela ne se passait pas du tout de la même manière que pour ses deux premières grossesses. Elle en a donc fait part à son obstétricien qui l’a renvoyée dans ses buts à chaque question qu’elle posait, la culpabilisant de lui faire perdre son temps et de poser des questions "idiotes". « Mais les femmes qui étaient en camp de concentration mettaient des enfants au monde plein de santé alors vous aussi », voilà le genre de réponse dont elle avait droit. Elle a alors demandé une amniocentèse à laquelle son obstétricien a répondu que cela ne lui donnerait pas plus d’information et que ce type d’examen est très coûteux. Bref, ma mère a ravalé ses inquiétudes en se disant qu’elle se faisait des idées.
Ça y est, ma mère accouche d’un beau bébé ! Mais on la garde un peu plus longtemps à la maternité parce que le bébé a beaucoup de mal à téter, il ne cherche pas le sein instinctivement, il ne grossit pas. Ma mère est inquiète et ne comprend pas pourquoi ce bébé ne veut pas se nourrir. Les infirmières sont bizarres, on lui prend parfois le bébé pour lui faire des examens médicaux sans qu’on lui dise de quoi il s’agit. Les infirmières noient le poisson « C’est pour voir son poids, on vous le ramène dans 20 minutes ».
Cela fait une semaine, ma mère sent qu’on lui cache quelque chose. Elle appelle une infirmière, se met en colère, exige qu’on lui explique pourquoi son bébé ne veut pas se nourrir. L’infirmière va chercher le bébé en catimini à la nurserie et montre à ma mère la nuque longue, le long front, les mains palmées de son bébé, autrement dit les caractéristiques physiques des enfants atteint de trisomie 21. Ma mère est seule dans sa chambre à la maternité et le ciel lui tombe sur la tête. L’infirmière lui fait promettre de ne pas dire à l’obstétricien que c’est elle qui lui a révélé la vérité, de peur de conséquences disciplinaires.
Ma mère demande à voir l’obstétricien. Il vient dans l’après-midi et lui annonce qu’aux vues des derniers examens médicaux, son bébé est trisomique. Mon père est au travail, ils n’ont même pas eu la décence d’attendre que mon père arrive pour leur annoncer la nouvelle à tous les deux et ont laissé le soin à ma mère de l’annoncer à mon père. L’obstétricien propose à ma mère de rencontrer une de ses amies qui a un enfant trisomique pour la rassurer, mais que ce diagnostic ne change, à son sens, pas le bonheur d’avoir un enfant. Bref, il minimise les inquiétudes et la tristesse de ma mère.
Mes parents comprendront quelques temps après que l’obstétricien savait depuis la 2nde échographie que leur bébé était atteint de trisomie 21 et leur a sciemment caché la vérité. Anti-IVG, il leur a tout simplement volé leur choix. Mes parents affirment clairement qu’ils auraient choisi de ne pas garder cet enfant. Ma mère aurait avorté.
Une fois la nouvelle encaissée, ma mère commence à construire mentalement la nouvelle vie qu’ils ont à organiser pour maximiser les chances de vivre une vie normale à cet enfant : déménager en ville pour être plus près des institutions qui pourront l’accompagner, école, centres spécialisés, peut-être arrêter de travailler pour pouvoir s’en occuper davantage, etc. Ses idées se sont arrêtées net lorsqu’elle s’est rendue compte qu’elle avait tout simplement oublié qu’elle avait deux autres enfants dont il fallait aussi s’occuper. Et oui, comment concilier tout ça, la panique s’installe. Mes parents font la démarche de rencontrer des associations d’aide aux parents d’enfants trisomiques et y font la connaissance d’une femme qui a su entendre leur désarroi et leur proposer toutes les alternatives à l’arrivée d’un enfant trisomique, sans les juger.
Mes parents se sont sentis dépassés et ne se sont pas senti la force d’élever un enfant trisomique et c’est tout à leur honneur de ne pas s’être voilé la face. Ils ont choisi de confier leur enfant à l’adoption. La décision d’avorter ou de mener cette grossesse à terme aurait été moins lourde à prendre pour mes parents que celle d’élever ou de confier leur bébé à l’adoption. Il n’y a pas de "choix de confort" en la matière, il y a juste des choix difficiles à prendre.
Ma mère est tombée dans une grande dépression après cette grossesse. Elle passait ses journées prostrée sur le canapé. Mon frère et moi n’avons rien vu car lorsque nous étions là, elle arrivait à surmonter son mal-être pour s’occuper de nous. C’est elle qui nous l’a dit lorsque nous étions en âge de comprendre. Je pense que c’est la naissance de ma sœur qui l’a aidée à revivre, à atténuer la douleur.
Si je raconte son histoire, c’est que je suis extrêmement choquée aujourd’hui par tous ces "bien-pensants" qui ne laissent place qu’à une seule façon de penser, la leur. Je suis pro-vie pour moi, mais je suis pro-choix pour les autres. Et encore, pro-vie jusqu’à ce que les imprévus de la vie ne me fasse changer d’avis. Je ne suis pas naïve, il y a la théorie de ceux qui ont eu la chance de ne pas avoir à être confronté à ce type de choix, comme moi, et ceux qui ont dû réviser leurs idéaux, leurs convictions pour trouver le choix qu’ils seront capables d’assumer. En effet, de nombreux enfants trisomiques pourront fréquenter leur école de quartier et mèneront une vie semi indépendante, mais tous n’ont pas cette chance et comme dans tout handicap, il y a différents degrés de gravité, certains nécessiteront des soins à temps plein.
Je ne conseille pas l’avortement à toutes les femmes qui apprennent que leur enfant est atteint d’handicap, mais je souhaite qu’on respecte le choix de chacune de pouvoir disposer de son corps comme elle l’entend. Les couples, dont la grossesse est suspecte, doivent avoir le choix de faire les tests pour savoir si les soupçons sont avérés. Certains préfèreront ne pas savoir, mais ils auront choisi de ne pas savoir. Et tous les couples ne décident pas de mettre fin à une grossesse parce que le fœtus est touché par une pathologie. Mais là encore, ils auront au moins eu le choix de mettre au monde un enfant handicapé ou d’avorter.
Aujourd’hui, je suis fière de mes parents, de voir qu’ils ont réussi à rester ensemble malgré tout, de ne pas en avoir fait un secret de famille, d’assumer leur choix la tête haute, de leur ouverture d’esprit et du vent de bonheur qu’ils ont su insuffler dans la vie de leurs trois enfants et dans celles de leurs petits-enfants.