J'ai voulu écrire un petit commentaire sous la vidéo, destiné surtout aux gars. Voyant qu'il devenait de plus en plus long, je n'ai pas osé le poster directement sur youtube : j'en suis désolée, et je ne me sens pas fière, sachant que Marion elle a le courage de tenir le même genre de propos face caméra... et que moi j'en suis à craindre les réponses éventuelles à mon pauvre petit commentaire
Enfin bref^^'.
Du coup je le partage tout de même avec vous. Désolée d'avance si c'est un peu décousu ou imbitable^^'.
Je n'en peux plus de ces "Ouin ouin, moi je suis gentil je veux simplement discuter avec mon prochain en quoi c'est mal ?". On parle d'un problème de société. Certes, ça concerne chacun, et tant mieux si chacun se l'approprie, interroge son expérience personnelle et se positionne vis-à-vis du message lancé ici par Marion. Mais problème de société, ça veut dire aussi qu'il faut pouvoir l'envisager à d'autres échelles que soi-même. Autrement dit : arrêter de l'envisager à partir de son nombril. Comprendre que oui, même si on est un gentil gars pétri de bonnes intentions, il existe un phénomène réel et généralisé qui est le harcèlement de rue, que c'est une forme de violence exercée sur les femmes, et que chacun est susceptible d'y participer malgré soi.
Je voudrais répondre, en particulier, à ce fameux argument de la timidité. Je veux bien admettre que des hommes souffrent de leur timidité, et je ne minimise pas la souffrance que cela peut procurer ! Mais si l'on en croit le propos plus ou moins sous-jacent de nombreux commentaires, les femmes qui luttent contre le harcèlement de rue aggraveraient cette timidité de manière quasi oppressive, dès qu'elles essaient de sensibiliser à la question du harcèlement.
Mais non, enfin !! On ne cherche pas à vous empêcher de faire des rencontres et de vous épanouir ! On vous demande simplement de faire attention ! Si vous êtes timides, n'êtes-vous pas justement bien placés pour saisir, ou au moins essayer de comprendre, la gêne et le malaise que peuvent procurer des interactions non désirées avec des inconnus ?
Moi-même, je suis quelqu'un d'un peu timide, qui n'ose pas toujours aller vers les autres. J'admets que ça peut procurer beaucoup de frustration et de tristesse (personnellement, je m'en porte plutôt bien, hein, mais je peux imaginer un peu ce que ça fait vivre). La différence, c'est qu'en tant que femme, je dois aussi faire face à ma timidité et à l'inhibition sociale acquise par mon éducation (le sourire automatique, les bonnes manières, "surtout ne pas s'imposer à l'autre"...) quand un mec vient me parler et que je n'ose pas lui dire assez fermement de me laisser tranquille. Quand on me lance un "Tu es mignonne, je peux te lécher la chatte ?", et que je ne peux même pas répondre parce que mon cerveau et mon corps n'ont tout simplement pas appris comment envoyer chier quelqu'un. Et je ne veux pas abusivement "hiérarchiser" les préjudices émotionnels, mais quand même : croyez-moi, je souffre bien plus directement de ma timidité dans ces cas-là, quand je sens que je suis prise au piège d'une situation dont je ne sais pas me tirer.
Donc déjà, s'il-vous-plaît, réfléchissez deux minutes avant de me parler de votre timidité. Ensuite, on pourrait me répondre que c'est à moi de faire un travail pour apprendre comment réagir. Mais pourquoi ce serait à moi de me remettre en question ? Et enfin, et surtout : le fait est qu'il n'y a pas que des filles timides qui ressentent cela. Bien des femmes réagissent autrement, parfois même frontalement, et pourtant
elles sont autant concernées que moi par le problème, elles en souffrent probablement tout autant.
Surtout, surtout, je ne me dis pas que "Bouhouhou, c'est injuste, comme je suis timide je souffre tellement plus que les autres filles !! D'abord de quel droit elles parlent de harcèlement de rue puisqu'elles arrivent à envoyer chier les mecs qui les emmerdent ???"
De même, on ne vous attaque pas personnellement, pour ce que vous êtes vous. De même, on a l'audace de vous croire suffisamment intelligents pour arriver à réfléchir deux minutes à la question sans y impliquer systématiquement vos enjeux intimes et votre caractère propre. On vous demande juste de
prendre en compte cette réalité du harcèlement (que peut-être vous ne percevez pas, mais qui existe) et de faire attention à ne pas la cautionner ou y participer, dans vos comportements comme dans votre discours. Ca demande peut-être des petits renoncements, mais est-ce qu'ils sont si importants face au bénéfice immense qui serait d'avoir un espace public où chacun, homme ou femme, se sent à peu près à l'aise et légitime ? Dîtes-vous aussi que si le problème était pris au sérieux et que les choses changeaient, que la rue en venait donc à ne plus être cet espace de danger ou d'emmerdement potentiel pour les femmes, hé bien les interactions sociales si détendues et bienveillantes que vous semblez souhaitez de vos voeux très pieux auraient alors une chance
réelle exister. Car pour l'instant, désolée, mais elles sont loin d'être la norme.
Encore une fois, merci infiniment Marion pour ton courage et pour tes vidéos, toujours patientes et claires. J'espère qu'elles feront réfléchir quelques personnes !