@Dame Verveine le truc c'est que dans chaque témoignage sur le sujet, il y a des maladresses comme celles qui ont déjà été relevées (un des pires articles que j'aie lu étant
celui-ci. On retrouve le même genre de poncifs que dans le présent témoignage, mais avec une tonne de suffisance en plus).
Quand je lis que les polyamoureux ont tout compris parce qu'ils ne se reposent pas que sur une personne pour répondre à leurs besoins, j'ai envie de dire que c'est pas plus sain de compter sur un seul partenaire que sur deux, ou trois, ou quinze, parce que la première personne à devoir combler ces besoins,... C'est nous-mêmes en fait. Si on n'est pas en mesure de le faire, on risque de manquer de sincérité dans les relations, d'instrumentaliser les autres ou de se placer dans une situation de dépendance et d'être manipulé.
L'argument de l'absence de jalousie grâce à l'éviction de l'exclusivité sexuelle ne tient pas non plus à mon avis. Tout simplement parce que ce qui génère la tromperie ça n'est pas tant la promesse de fidélité sexuelle qui serait intenable pour le commun des mortels, que l'existence d'un socle de valeurs autour duquel les partenaires instaurent le fonctionnement de leur couple (dans un couple ouvert ces valeurs seront peut-être même verbalisées encore plus explicitement que dans un couple monogame d'ailleurs). Même avec la plus grande marge de liberté, on peut éprouver le besoin de réaffirmer son identité en dehors de celle du couple et donc finir par transgresser les règles. Juste pour se prouver qu'on est libre à titre individuel et pas seulement dans le cadre d'une relation avec quelqu'un d'autre.
Concernant le sentiment de jalousie lui-même, on peut être monogame et ne jamais l'eprouver (ou alors savoir le gérer), comme on peut être poly et en souffrir sans pour autant que ce soit un signe d'échec. Déjà parce que ça dépend de ce qu'on en fait et de comment on gère cette émotion. L'intelligence émotionnelle ne se mesure pas à ce qu'on éprouve, mais à ce qu'on fait de nos émotions (comment on les identifie, on les accepte, on les verbalise, etc.). Ensuite parce qu'on n'a rien à prouver à personne et qu'on peut très bien décider de suspendre ce fonctionnement ou de l'ajuster si on n'arrive pas à le gérer sans que ça ne veuille rien dire ni du schéma lui-même, ni de soi.
Dans tous les cas, être poly n'est pas un talisman qui protège de la jalousie, tout comme être monogame ne condamne pas fatalement à la ressentir.
Pour ces principales raisons, je trouve peu pertinent de présenter le couple ouvert ou polyamoureux comme une réponse aux défaillances du couple monogame. Non, le polyamour n'est pas LA solution pour s'assurer de vivre une histoire d'amour 100% heureuse et dénuée de souffrance, parce que de toute façon les histoires d'amour qui ne font éprouver que des émotions agréables, ça.n'existe.pas. (ce qui ne veut pas dire qu'il est «normal» de n'en n'éprouver que des négatives bien entendu. Je ne parle que de l'hypothèse où on n'est pas dans une situation d'abus). S'attacher à quelqu'un (famille, ami ou amoureux-se) c'est nécessairement s'exposer à la douleur de la perte. On peut choisir de s'en protéger en n'aimant personne, mais dans ce cas on mène une vie très pauvre et très terne (voire on ne vit pas du tout en fait).
Tout ça pour dire que le polyamour et les relations non-exclusives ne sont pas plus innées ou rationnelles que la monogamie, et qu'elles comportent aussi des écueils, des échecs et des émotions désagréables, parce que c'est le propre de toute relation interpersonnelle en fait. Donc à la limite écrire des articles pour montrer qu'il existe de multiples voies de vivre l'amour romantico-sexuel ou pour présenter le cheminement de personnes qui ont eu le courage de s'assumer telles qu'elles étaient, why not. Par contre chercher à faire croire que le polyamour est le fait de gens plus deconstruits et éclairés que la moyenne, c'est au mieux naïf, au pire malhonnête. On ne devient pas polyamoureux parce qu'on est plus malin que tout le monde et qu'on a trouvé LA recette du bonheur conjugal. On devient polyamoureux parce qu'on a trouvé la recette qui NOUS convient avec telles personnes et à tel stade de notre vie. Le discours autour c'est de la rationalisation pour justifier ce choix auprès des gens qui ne le comprennent pas ou ne l'acceptent pas. C'est uniquement l'existence d'un «contre-modèle» dominant qui oblige à le remettre en cause pour expliquer qu'on s'en détache, mais dans l'absolu je ne crois pas qu'il y en ait un qui garantisse plus de bonheur que l'autre. Ce qui rend heureux c'est de choisir le schéma de relation qui nous convient et de le faire fonctionner, mais ça n'est pas le schéma en lui-même.
Pour finir, je crois que la «normalisation» des relations poly ou ouvertes, passe aussi par le fait d'admettre que parfois ça ne marche pas. Qu'être polyamoureux ça ne veut pas dire se fermer définitivement à la monogamie. Que ça n'est pas un absolu à tenir jusqu'à la fin de ses jours et que ça peut aller et venir selon les personnes et les phases de la vie. Je pense que ça allegerait la pression sur les épaules des gens qui en sont revenus et qui culpabilisent de «trahir» la cause en croyant donner raison aux personnes qui doutaient de leur histoire. Croire qu'il n'y a pas de retour possible vers la monogamie une fois qu'on est poly (ou y voir un échec), c'est créer un fossé artificiel entre les «pro» et «anti» et c'est aussi s'enfermer dans l'idée qu'on représente un camp à défendre et qu'on a un devoir d'exemplarité face à la «partie adverse». Sauf que personne n'est obligé de faire de sa vie l'étendard d'une cause et qu'à la limite, c'est encore plus contre-productif dans le sens où ca radicalise tout le monde sur ses positions, tout en éloignant chacun de sa propre vérité intérieure. Y'a pas besoin de dénigrer la monogamie ou de répandre l'idée que le polyamour c'est forcément l'avenir, pour le faire accepter. Au contraire! Moi c'est le genre de discours qui me crispe encore plus parce que j'ai l'impression de devoir accepter à marche forcée quelque chose qui ne me convient pas du tout et contre lequel je vais d'autant plus m'arquebouter. Alors que le fait de voir ça comme une alternative ni pire ni meilleure que le couple monogame, mais qui représente juste une possibilité qu'on peut choisir ou abandonner à tout moment, ça dediabolise pas mal le truc et ça dispose à plus d'ouverture.