khalea;4517288 a dit :
@roppongi
Tu as bien raison, mais je ne peux pas m'empêcher de considérer ça comme un "défaut", dans certaines situations, d'être féministe (mais défaut que, pour une fois, je ne veux surtout pas changer !!!). C'est moche de dire ça, mais je trouve ça parfois difficile à assumer face aux autres, surtout dans le contexte professionnel.
Je me dis, ai-je vraiment voix au chapitre ? D'autant que j'ai compris qu'à mon taf, "le client est roi" et on a intérêt à dire oui à tout sans broncher.
Concernant les Chiennes de Garde, c'est vrai que c'est pas très malin de ma part, mais ça rejoint ce manque de confiance en moi que j'ai sur ce sujet..
Au final, ta stratégie me semble bien plus judicieuse, mais d'un autre côté j'ai quand même besoin d'avoir l'aval de mon boss pour être sûre de pas faire de conneries.
Bref, j'attends sa réponse avec impatience et anxiété !!!
Je plussoie @roppongi.
Evidemment, c'est difficile de s'extirper des préjugés et de l'hostilité qui est généralement manifestée dès qu'il s'agit de féminisme. On a toutes plus ou moins internalisé le fait qu'être féministe, c'est être hargneuse, chiante, pinailleuse, etc... Mais premièrement : ce n'est pas que ça - et deuxièmement, et alors ?
Parfois il y a besoin de pinailler, parfois il y a besoin de donner un coup de pied dans le tas. Parfois, on passe pour chiante.
Alors évidemment, je ne vais pas te dire : "fonce, même si tu as l'impression que tu vas faire chier tout le monde !"
D'abord parce que je ne me permettrai pas de te dire ce que tu dois faire ou pas, et deuxièmement parce que je pense que, pour se permettre de passer pour la chieuse de service, il est bon d'avoir déjà fait un bon gros boulot pour accepter déjà, pour soi-même, que ce qu'on a à dire n'est pas "un détail" ou "du pinaillage". Donc, plutôt que de te dire de foncer dans le tas, je te dirais plutôt que, si le féminisme est un sujet qui te tient à cœur, lis, lis beaucoup, renseigne-toi, écoute, et lis encore. C'est petit à petit que tu vas te sentir plus à l'aise avec ces idées, qu'elles te sembleront de plus en plus évidentes, de plus en plus nécessaires. Et quand tu en parleras, tu le feras avec de plus en plus d'assurance.
On sent en effet dans ton mail que tu as envie d'explorer cette voie, et que pour l'instant, tu as surtout peur des réactions autour de toi. Mais sache que, quand tu auras doucement exploré tes zones de doute et d'incertitude, tu te rendras compte, petit à petit, que les réactions autour de toi sont bien moins importantes que ta propre perception, tes propres convictions.
Cette exploration prend du temps, et tu peux y aller au rythme qui te convient. Mais quand tu dis "je ne peux pas m'empêcher de considérer ça comme un défaut", laisse-moi te dire que si, tu le peux... mais ça prendra du temps et du travail.
Quand tu seras plus sure de toi, tu te rendras compte que tu gèreras beaucoup mieux les retours négatifs. Quand on t'opposera des rejets et des arguments (souvent débiles), tu ne seras plus aussi effrayée.
Je ne dis pas que tu finiras par être complètement zen - j'ai déjà raconté ici la fois où j'ai réagi à un collègue qui parlait du "devoir conjugal" : je lui ai expliqué toute l'horreur contenue dans cette expression qui a masqué l'existence du viol conjugal, jusqu'en 2003 (oui - 2003). A la fin de la discussion, j'avais les mains qui tremblaient tellement j'étais en colère. J'ai essayé de le cacher tant bien que mal, mais j'ai vraiment été secouée par cette discussion - alors que lui pouvait se contenter de dire en rigolant doucement que j'avais "plombé l'ambiance". Je lui ai répondu (en cachant mes mains qui tremblaient) que c'était lui qui plombait l'ambiance en sortant des trucs affreux. Il n'a rien répondu, et plus tard j'en ai reparlé avec un collègue qui m'a dit qu'il était complètement d'accord avec tout ce que j'avais dit.
Ce jour-là, j'ai compris que, quand je m'en sentais le courage, et surtout quand je sentais que je ne pouvais pas me taire, parler faisait du bien, même si sur le coup c'était douloureux, effrayant voire carrément pénible. Donner son avis, même s'il est mal reçu, a quelque chose d'apaisant - au moins, j'ai essayé, au moins, quelqu'un m'a peut-être entendu, au moins, la prochaine fois, ils réfléchiront un tout petit peu avant de sortir un truc pareil.
Et puis, dans
Feminist Theory - From Margin To Center de bell hooks, j'ai lu ça :
"Un jour, j’ai été invitée par une sociologue noire, une femme très posée, à parler pendant l’un de ses cours. Une des élèves était une jeune fille d’origine mexicaine qui pouvait passer pour blanche. Nous avons eu une discussion houleuse quand je lui ai dit que la possibilité de passer pour blanche lui donnait une perspective sur la race totalement différente de celle de quelqu’un qui a la peau foncée et n’a pas cette possibilité. Je lui ai fait remarquer que quand une personne la rencontrait pour la première fois sans savoir ses origines ethniques, elle la croyait probablement blanche, et que cela avait un impact sur leur relation. Sur le coup, cette suggestion l’avait énervée. Elle s’était mise en colère et avait fini par quitter la salle en larmes. Sa prof et ses camarades m’avaient considérée comme “la méchante” qui n’avait pas réussi à aider sa semblable et l’avait fait pleurer. Elles étaient embêtées que notre rencontre n’ait pas pu se dérouler de façon entièrement agréable, et qu’elle ait suscité de l’émotion et de la colère. Cette situation m’avait effectivement mise mal à l’aise. L’étudiante, cependant, me contacta plusieurs semaines plus tard, pour me faire savoir que notre discussion lui avait beaucoup appris et lui avait fait prendre conscience de certaines choses, et que cela l’avait changée. Des incidents de ce genre, qui semblent initialement être uniquement négatifs à cause de la tension et de l’hostilité, peuvent mener à des changements positifs. Si, en tant que femmes, nous évitons systématiquement la confrontation et cherchons à rester dans notre zone de confort, nous ne pourrons jamais faire l’expérience de changements révolutionnaires, de transformation, que ce soit individuellement ou collectivement."
Et dans
Sister Outsider, d'Audre Lorde, j'ai lu ceci :
"Et [quand nous parlons], ce n’est jamais sans crainte; d’être visible, de la lumière crue du regard des autres et d’un éventuel jugement, de la douleur, de la mort. Mais nous avons déjà vécu tout cela en silence, sauf la mort. Et maintenant, je me rappelle régulièrement que si j’étais née muette ou si j’avais fait vœu de silence toute ma vie pour ma sécurité, ça ne m’empêcherait ni de souffrir ni de mourir."
Bref, prends ton temps, mais sache que petit à petit, en explorant ces idées, tu prendras confiance en toi, et tu prendras goût au fait d'exprimer tes opinions, quelle que soit la façon dont elles seront reçues.