J'ai écrit ça, il y a deux ans. Je l'ai écrit dans la cadre d'un thème sur une galerie textuelle, la seule règle étant d'insérer cette citation dans le texte :
"Mieux vaut être indifférente et digne qu?heureuse et pathétique."
C'est effrayant de savoir qu'on va lire mon texte, et émettre un avis dessus.
J-2; 23h43
J?étais sa putain. Je l?aimais. Mais je n?avais pas le droit, j?étais juste sa putain.
Je croyais pouvoir tenir encore longtemps comme ça, cachée tel un monstre. Mais je ne peux plus.
Je ne supporte plus d?être reniée ainsi.
Je étais sa putain. Je l?aimais. Mais je n?avais pas le droit, j?étais juste sa putain.
Je n?ai jamais eu de responsabilités dans la vie, même avant de devenir une pute, même quand je pouvais encore marcher dans la rue la tête haute. Ca toujours été normal pour moi de devoir me taire, fermer ma gueule et seulement obéir. Je n?ai jamais eu le droit de donner mon avis, d?exprimer ma pensée, j?étais une femme, et là où j'ai grandi, les femmes n?avaient pas d?avis à donner. Je me rends compte qu?aujourd?hui le même schéma se reproduit dans ma vie de femme adulte et potentiellement responsable, peut être est-ce pour cette raison que quelque part je me complais dans cette vie merdique, je ne sais pas. Je suis une jeune femme de 24 ans, abîmée par les accès, fatiguée d?une vie de décadence. Je crois aussi que je suis amoureuse. Peut-être est-ce cela qui me rend si vulnérable ? Je n?avais jamais connu de sentiment si nuancé auparavant. Quelque part il m?a changé, oui.
J-1 ; 08h00
Ce matin il fait beau. Le redoux de l?hiver arrive peu à peu. J?ai profité de cette éclaircie inespérée pour aller au marché. En rentrant chez moi j?ai enfilé ma plus belle robe de satin couleur nacré. Je trouve que j?ai l?air d?une dame comme ça, pendant quelques instants je vois l'étiquette «putain» se décoller de mon front, pour laisser place à un visage de femme. C?est décidé, c?est cette robe que je porterais demain.
J-J ; 17h00
Ce soir j?ai un rendez-vous important, un de ces rendez-vous qu?on ne prend pas la peine de noter sur un calendrier tant il occupe notre esprit. Je n?ai pas ce genre de rendez-vous en temps normal, une pute n?a pas de rendez-vous sérieux me direz-vous.
19h23
L?heure tant attendue approche; je me sens toute excitée, tel une enfant à une veille de Noël.
21h00
Il est merveilleux dans son costume de couturier, comme à son habitude. Pour une fois, je suis à la hauteur de son élégance vêtue de ma robe de satin. Il ne m?embrasse pas, sa main ne frôle pas la mienne comme je l'avais espéré. J?aurai pu courir vers lui, lui sauter au coup, passionnée, guidée par un amour inconditionnel, mais je ne le fais pas. Il me repousserai certainement. Je respecte son choix, je me tiens moi aussi loin de lui et feins de ne pas le connaitre. Nous pénétrons tous deux dans une petite ruelle sombre abritée de tout regard qui pourrait nuire à son image. Il me regarde à présent dans les yeux, il soutient mon regard. Je ne parviens à lire aucune émotion sur son visage, ni amour, ni haine, ni même un soupçon de compassion. Où est passée la passion qui nous unissait il y a quelques jours encore ? Il prend ma main. Une lueur d?espoir doit se dessiner dans mes yeux puisqu?il fronce les sourcils, réprobateur. Il ouvre ma main sans aucune délicatesse et y glisse un billet. Je réalise à présent. Ma main se ferme dans un excès de fureur, emprisonnant ainsi dans ma paume la preuve de son mépris à mon égard.
J?étais sa putain. Je l?aimais. Mais je n?avais pas le droit, j?étais juste sa putain.
J?avais prévu sa réaction, je le connais trop bien. Ma main tremblante se glisse avec délicatesse dans mon petit sac. J?en sors le mur qui me séparera à jamais de l?homme que j?aime. Il me semble que j?en suis pleinement consciente. Ce revolver est si froid. J?appuie sur la gâchette, aucun sentiment n?habite mon corps à présent frêle et vulnérable. Le spectacle est splendide, réellement. Ma robe si précieuse est à présent immaculée de rouge, mais qu?importe, je l?avais mise pour lui après tout, maintenant tout ça n?a plus d?importance. Je ne ressens rien face à sa dépouille. J?observe simplement le sang couler sur ses traits si parfaits, l?impact de la balle a créé une marre de sang sur son front, juste entre les deux yeux. Je ne pensais pas que mon état chaotique me permettrait un tir aussi précis. Il est beau. Même mort. Avec simplicité, je dépose l?arme sur son torse, puis l?embrasse du bout des lèvres. Ma vie vient de s?effondrer, mais plus rien ne m?importe à présent.
J?étais sa putain. Je l?aimais. Mais je n?avais pas le droit, j?étais juste sa putain.
22h11
Je suis morte de l?intérieur. Mais cela n?était-il pas nécessaire ? Bien sur que si.
Mieux vaut être indifférente et digne qu?heureuse et pathétique.