Euh, qu'elle se désolidarise, OK, mais elle persiste et signe dans ses "excuses".
L'idée d'un "fascisme" féministe qui empêche de parler, les dénonciations en puritanisme et la dénonciation d'un climat de délation, ce sont des arguments bien connus et utilisés par la réaction. J'attends encore que les auteures de la tribune identifient UN homme qui en France a dû démissioner sous la vindicte populaire suite à #balancetonporc. Parce que les chiffres sur le non-recours à la justice, eux, ils sont connus : moins d'une victime de viol sur 10 qui porterait plainte, idem pour les victimes de harcèlement sexuel. Je ne nie pas qu'il existe des dénonciations calomnieuses (cela existe, oui, cela doit être dénoncé avec force), mais globalement les non-dénonciations de faits pourtant délictueux ou criminels sont bien plus nombreuses.
Il est tout à l'honneur de Mme Deneuve de se désolidariser des propos outranciers de certaines des auteures et des co-signataires de cette tribune, et je suis parfaitement d'accord avec l'idée de l'article : on a trop identifié Catherine Deneuve comme "auteur" de la tribune alors qu'elle est 1/ co-signataire 2/ pas seule, mais la liberté d'importuner telle que définie par les auteures parlait bien de défendre des actes qui relèvent de l'agression sexuelle. Donc ses excuses et le côté "c'est vous qui avez mal compris" ne passe pas du tout.
Je suis également totalement d'accord avec le fait qu'utiliser les instruments du patriarcat pour délégitimer cette chronique (en utilisant notamment l'argument de l'âge ou en la traitant de dinde), c'est naze. Qu'on dézingue toute la littérature au nom d'une pureté morale, c'est naze aussi, mais je crois pas que ce soit le propos. J'apprécie énormément certaines oeuvres artistiques, pour autant, je sais avoir une lecture critique sur la position des auteurs quant aux femmes, au minorités... Et j'apprécie aussi de pouvoir avoir des exemples de personnages féminins forts, qui sortent des archétypes et de l'essentialisme donnés en littérature.
Mais pour le reste... Les références au puritanisme et procès en chasses aux sorcières ou inquisition... L'instrumentalisation de ces termes qui ont été au service de la persécution des femmes pour dénoncer un mouvement de libération des femmes fait froid dans le dos. Pour rappel, la puritanisme, c'est un mouvement parti d'Angleterre au 16ème siècle, qui visait à l'origine à "purifier" la société anglaise de ses éléments catholiques. Avec notamment une volonté de contrôle des femmes (parce qu'on commence toujours par vouloir contrôler les femmes, voir à ce sujet les travaux de Françoise Héritier). En Nouvelle-Angleterre, c'est les sorcières de Salem. L'Inquisition, c'est aussi parti des guerres de religion, avec la même obsession de purification (notamment avec la notion de limpieza de sangre) : c'est la Reconquête et l'expulsion des Juifs d'Espagne, mais aussi les procès en sorcellerie (assez peu quantitativement par rapport aux autres procès, n'empêche). C'est des siècles de bannissement des connaissances médicales traditionnelles, notamment de celles qui contrôlaient les naissances, les sages-femmes. Un tel retournement des mots n'est pas anodin.
A ce sujet, un article très intéressant de Claude Askolovitch sur la fameuse tribune et les liens avec la
réaction. J'ai trouvé l'article complet et intéressant, notamment sur la question des outils nouveaux de la réaction : il ne faut pas s'y tromper, certains sont en lutte ouverte contre l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, avec un agenda très précis, pour beaucoup de raisons, et penser qu'il ne s'agit que d'une "diversité des opinions" serait pour moi exagérément naïf. Cela ne veut pas dire qu'il faut répondre à l'outrance par l'outrance, mais qu'il convient de rester vigilant face à tous ces combats contre l'avancée des droits de tou-t-e-s.
Et on ne le dit pas assez, mais la lutte féministe c'est aussi lutter contre une idée toxique de la virilité : un homme, c'est forcément fort, ça montre pas ses sentiments, et ça a forcément envie de sexe tout le temps : lire à ce sujet l'enquête sur les hommes qui ont des
rapports sexuels non désirés. Interdire à un petit garçon de pleurer parce que "c'est pas une mauviette", c'est tout aussi toxique que coller l'étiquette "douce et patiente" pour une petite fille : on conditionne les enfants à des comportements qui les rendront malheureux.