Je vais essayer de faire un post construit mais je m'excuse d'avance si je ne suis pas très claire. Je suis prof d'anglais en collège dans un établissement très calme mais qui brasse des élèves de toutes origines ethniques et socio-culturelles.
1) Jeudi, je n'avais pas cours quand a eu lieu la minute de silence. J'ai eu 4h de cours l'après-midi et je n'ai pas parlé des évènements avec les élèves. Je n'ai pas ressenti chez eux le besoin d'en parler et je le regrette. J'en ai un peu parlé les jours suivants, mais je regrette de ne pas avoir pris tout cela à chaud. Parce que dans mon établissement c'est un peu le problème inverse: j'ai l'impression que personne ne se sent concerné. Les élèves ont fait de beaux dessins pour la liberté d'expression, je suis sûre que tous mes collègues qui avaient cours jeudi matin en ont parlé avec leurs classes, mais aujourd'hui, une semaine après, que reste-t-il de tout cela?
2) Je réfléchis actuellement à une manière de parler de ces thèmes de liberté et de droits de l'homme, en lien avec les attentats et ma matière. Pas facile facile, car outre les documents (je me vois mal étudier Salman Rushdie avec des 5ème; je penche plutôt sur Imagine de John Lennon), il faut aussi voir comment mettre ces documents en lien avec ce qui s'est passé.
3) Je commence à en avoir assez de la fameuse rengaine "mais on n'a pas été formés pour ça!". Parfois j'ai l'impression que mes collègues attendent du tout-cuit, qu'on leur donne une recette magique qui règlera tous les problèmes de l'Education Nationale. Etre prof c'est en grande partie se former soi-même, je pense que nous jeunes enseignants en avons assez fait l'expérience lors de notre formation initiale. Les services académiques et le ministère ont mis en ligne quelques ressources pour parler des attentats avec les élèves. Et on trouve je pense quantité de ressources sur Internet, il suffit de retrousser ses manches! Personnellement, depuis les attentats, je me pose énormément de questions et je ne vais pas attendre qu'on me dise quoi faire. En tant que prof principale, je voudrais faire une heure de vie de classe sur tout ces évènements, et l'année prochaine je vais très certainement réserver une ou plusieurs heures à la laïcité, l'égalité, la fraternité, la liberté...
Je projette également de me cultiver de mon côté sur les religions (étant athée je ne m'y connais vraiment pas).
4) Derrière ce 3) se cache aussi, il faut l'avouer, une certaine partie des enseignants qui considèrent que l'éducation doit être donnée par les parents et que l'école n'est chargée que de l'instruction. Certes, la famille dispense un certain nombre de valeurs, mais l'enfant passe quand même une grande partie de son temps à l'école. L'école est une vraie mini-société où l'on ne dispense pas que des connaissances mais aussi des savoirs-êtres et des savoir-faire, que ce soit dans les différentes disciplines ou dans la vie scolaire. L'école forme de futurs citoyens!
5) Dans le même temps, et ça peut paraître un peu contradictoire avec le 4), en termes "d'influence" sur l'enfant, l'école n'est que peu de choses face à la famille. On a beau faire ce qu'on peut, un élève sera toujours l'enfant de ses parents. Si les familles se montrent méfiantes envers l'école, si les parents critiquent ouvertement les profs (ces glandeurs....toujours en vacances!) à la maison, l'élève va forcément en ressortir avec une mauvaise image de l'école. De la même manière, on a beau appliquer toutes les chartes de la laïcité du monde, si des parents ultra-religieux et anti-laïcs s'en mêlent, on aura bien du mal à faire rentrer un élève "dans le cadre".
6) Du 5) découle le prochain point: si l'élève ne fait plus confiance au prof, le prof devient une source d'info comme une autre. L'élève va mettre en doute ce qu'on lui enseigne. Il va profiter de toutes les ressources qu'il a à sa disposition (et c'est bien normal). C'est beaucoup plus léger que les problèmes de théories du complot, mais j'ai un exemple frappant en tant que prof de langues: Google Traduction. J'ai beau expliquer à mes élèves comment Google Trad fonctionne et pourquoi il est plus prudent d'utiliser un vrai dictionnaire, leur donner un lien vers mon dictionnaire en ligne préféré, lorsqu'on va en salle info et qu'ils doivent chercher un mot, ils vont tout de même aller sur Google Trad. Parce qu'ils en ont l'habitude. Et comme toute habitude, elle mettra très longtemps à se perdre, il faudra répéter des centaines de fois, rééxpliquer, reredire...Mais on ne saura toujours pas ce que l'élève utilisera pour chercher un mot chez lui!
7) Il y a aussi l'effet de groupe: tout le monde regarde cette chaîne Youtube, je vais la regarder aussi. La pression des pairs chez les ados est un phénomène très puissant, ne l'oublions pas.
Et je termine avec deux trois idées pour l'avenir:
- que l'éducation à la citoyenneté ne soit pas que "dispensée" par les profs d'histoire-géo. Une collège me disait l'autre jour que rien dans son cursus ne la formait à dispenser des cours d'éducation civique. A partir de là, je pense que l'éducation civique doit aussi devenir une matière transversale. Chaque prof peut et doit distiller ça et là les valeurs de notre pays. C'est un truc qu'on fait déjà, même inconsciemment.
- avec quelques collègues, on se disait que l'enseignement de la philosophie devrait débuter plus tôt. Dès le collège, voire l'école primaire, avec des mots simples, on devrait pouvoir faire réfléchir les élèves sur des problématiques très concrètes. Cela participerait aussi au développement de leur esprit critique et à leur éducation "aux médias".
- qu'on oblige les profs à travailler ensemble. Dans mon établissement, la plupart des profs ne sont absolument pas habitués à se concerter, à discuter, à trouver une solution ensemble. La nouvelle génération de profs est je pense plus encline à la collaboration, mais en attendant que toute la population de profs soit renouvelée, je pense qu'il faut fortement inciter tout le monde à travailler ensemble. J'adore les réunions, j'adore construire mes cours avec des collègues en ligne, j'adore quand on résoud un problème ensemble, mais ce n'est vraiment pas dans la culture prof. Le "prof de base" n'aime pas les réunions. Il est allergique au mot réunion. Par principe. Ce que je trouve vraiment dommage.
Ah, et pour finir sur une réaction aux commentaires précédents:
Un établissement scolaire est sous la houlette d'un principal (proviseur en lycée) et d'un principal adjoint (proviseur adjoint en lycée). Tous ne sont pas pareils, c'est comme partout, y a des cons partout. Certains chefs d'établissement cherchent à ne pas faire de vagues pour ne pas donner mauvaise réputation à leur établissement et/ou par peur des parents. D'où parfois les conseils de discipline qui passent à la trappe, les notes qui augmentent, les niveaux de langue qui se voient automatiquement validés en fin de 3ème même si l'élève est très faible...Ce n'est pas partout.
Il faut faire très attention aux généralisations comme pour tous les domaines....