Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant, et plein de bons conseils. Néanmoins, certains détails m'ont fait, en tant que biologiste du comportement, bondir. Je vous prie de m'excuser si certains sujets ont déjà été abordés dans le forum, je n'ai pas lu toutes les réactions.
Pour commencer, je trouve un peu cavalier, voire légèrement insultant, de réduire le travail des éthologues à "l'observation d'animaux comme si on observait des humains en conditions de télé-réalité". Beaucoup ont aussi observé les animaux dans la nature (dont les loups), les ont suivis, la littérature est assez abondante sur le sujet pour s'en rendre compte. Et ceux qui ont observé les animaux en conditions de captivité étaient parfaitement conscient des limites de leurs observations, il ne faut pas croire qu'ils étaient ou sont complètement aveugles. Et d'autres, comme Konrad Lorenz pour citer un "fondateur" de l'éthologie scientifique, ont basé toutes leurs études sur le comportement des chiens en observant... le comportement des chiens eux-mêmes! (et parfois même pour déduire les comportements des loups, un peu moins évidents à observer) Donc, pas de raison de rejeter leurs observations ni leurs conclusions, au contraire (même si ça n'empêche pas de garder un œil critique dessus)!
En outre, sur le lien entre chien et loup, non, comparer les chiens aux loups, n'a RIEN à voir avec comparer les humains aux "grands singes". Il est complètement absurde de le mettre en parallèle d'un lien entre humain et grands singes. Les loups et les chiens sont la même espèce, les chiens descendent de certaines populations de loups, et leurs comportements entre eux sont très similaires, au point qu'il se reconnaissent et se reproduisent sans grande peine. On ne peut certainement pas en dire autant des hommes et des autres grands singes. Les hommes et les grands singes ne sont pas la même espèce, et les hommes ne descendent pas plus des grands singes que l'inverse. Les grands singes et les hommes sont des espèces sœurs qui ont des ancêtres communs dont elles se sont séparés depuis infiniment plus longtemps que les chiens se sont séparés des loups. Et les comportements des grands singes sont aussi divers qu'il y a d'espèces, il serait impossible de les regrouper pour les comparer à ceux de l'homme.
Ensuite, au sujet de la dominance et de la hiérarchie. Il me semble que chez les espèces qui, dans la nature, ont un comportement hiérarchique, en aucun cas le dominant est simplement celui "tape" "est violent" ou "mange en premier", ni que ce soit lié au manque de ressources. C'est complètement méconnaître le rôle social du dominant.
Son rôle est avant tout celui de leader : c'est lui qui est responsable, il prend les risques, il choisit où va la troupe, il protège, il surveille les prédateurs, il choisit la nourriture, ressources abondantes ou pas. Je ne suis pas spécialiste des canidés, mais il me semble que chez les loups, la cellule est avant tout familiale, le dominant, c'est le parent, celui qui forme, qui apprend à son jeune les règles de la vie sociale, ce qu'il est bon de faire ou pas, comment chasser, jusqu'à ce que le jeune aille former sa propre meute. C'est le dominant parce que c'est lui le "responsable", pas juste parce qu'il n'y a pas assez à manger et qu'il veut toutes les ressources pour lui (ça c'est plutôt le cas des espèces non sociales). Et si il tape, parfois, c'est essentiellement parce qu'un autre membre du groupe a tenté de prendre sa place.
Or, le principe de la domestication, puisqu'on parle des chiens et non des loups, c'est d'intégrer l'animal dans un groupe social qui reprenne la structure de son groupe social naturel, mais en l'obligeant toute sa vie à rester dans le rôle de l'"enfant" (ce qui entraîne le phénomène de néoténie, par sélection des comportements les plus "enfantins" chez l'animal). C'est notamment en cela que le chien n'est "plus un loup", il ne devient jamais "complètement" adulte (au moins tant qu'il ne se reproduit pas). L'humain devient donc le "parent", le "responsable", et en cela il reprend le rôle du dominant naturel chez les espèces hiérarchiques, et ça n'est pas choquant, au contraire, c'est plutôt agir faire preuve de respect de l'animal (et on peut toujours faire des ajustements en fonction du sien) que d'en tenir compte.
La néoténie du chien permet sans doute de prendre quelques libertés dans la forme (beaucoup ne deviendront pas des tyrans sous prétexte qu'ils partagent le lit, après tout, les jeunes loups se couchent avec leurs parents). Donc il n'est probablement pas nécessaire de respecter "tous" les codes naturels, je ne me prononcerais pas dessus (mais j'ai dans l'idée que ça doit dépendre de la tendance naturelle chaque individu à vouloir prendre le rôle du leader à la place de l'humain). Mais ça ne veut pas dire qu'il n'ont plus besoin de dominant (dans le sens de leader, celui qui enseigne, protège etc), au contraire, ils en auront besoin toute leur vie.
De nombreuses espèces sont hiérarchiques dans la nature, et sont tout à fait capables de reproduire ce schéma avec l'humain. Ça leur vient même tout à fait naturellement, avec ou sans néoténie. Oiseaux (notamment psittacidés), chevaux, ne sont que des exemples. Chez les chevaux, de nombreuses personnes ont obtenu d'excellents résultats en reprenant les codes de communication naturels qui permettent de faire comprendre intuitivement à l'animal qui est le leader, sans besoin de lui apprendre des codes spécifique à la relation avec l'homme. Et justement en diminuant parfois beaucoup la violence par rapport à d'autres méthodes.
En outre, peut-être que les chiens font bien la différence entre humain et chien, mais d'autres espèces ne sont pas si regardantes, en particulier si elles sont élevées par l'homme (mais pas obligatoirement). La frontière entre les deux se fond au point que l'animal en arrive à parfois courtiser l'humain comme un membre de sa propre espèce (et il y a parfois des humains qui ne font plus la différence entre un chien et un enfant ;-) ). Aucun problème, donc, à utiliser leurs codes naturels (et peut-être que certains auront du mal à comprendre qu'ils ne sont pas les leaders même s'ils mangent en premier? ) pour les comprendre et se faire comprendre, dans la mesure où c'est utile et pertinent (ce qui n'est certainement pas le cas de leur uriner dessus, nous sommes d'accord). Même si tout binôme chien-humain utilise très vite ses propres codes.
Pour en revenir au leadership, ça me semble faux et dommage de mettre en opposition les rôles de dominant et de leader, puisque le "bon" dominant EST le leader, celui dont l'animal accepte qu'il prenne la responsabilité de tout ce qui est "organisation" (quand manger, où aller, à quel moment on peut jouer en sécurité, mais à quel moment il faut obéir à un ordre etc). Exiger de son chien qu'il respecte nos règles de vie, qu'on lui enseigne, lui "donner une structure", comme le dit l'article, FAIT de nous son "dominant" au sens naturel du terme.
Dans la nature, si un animal n'accepte pas son leader, il le remet en cause par la force ou il change de groupe (et d'ailleurs, tous les jeunes finissent par changer de groupe).
Le renforcement positif, pour obtenir cette confiance, car un bon leader n'est pas suivi s'il n'a pas la confiance des autres membres du groupe, est une très bonne méthode, très utile, et qui devrait être toujours utilisée au départ. Néanmoins, ça ne me semble pas judicieux de le valoriser par opposition avec un "tout négatif" n'entraînant que coups, violence et colliers "étrangleurs". Fermeté n'est pas violence, inconfort n'est pas violence et personne à ma connaissance n'utilise "que" du renforcement négatif violent pour éduquer son animal, il est évident qu'à un moment là situation va exploser. Même chez les oiseaux, qui pourtant sont presque imperméables au renforcement négatif, et qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de frapper, il est possible d'utiliser des mimiques, des intonations, que l'animal interprète sans peine pour comprendre que son comportement du moment est désapprouvé (ce qui n'empêche pas de le récompenser quand il a cessé, bien entendu). Eux-mêmes, entre eux, ne s'en privent pas, sans se traumatiser ni se blesser pour autant. En outre, chaque animal est différent, et je pense que l'on peut choisir en fonction de sa situation d'utiliser différentes formes de renforcement, sans tomber dans des extrêmes violents.
Enfin, dernier point, il me semble illusoire de penser qu'un animal, à plus forte raison si on le reconnaît plein d'émotions (ce qui ne fait aucun doute), puisse être "insensible" à un abandon. Par conséquent, il est logique de penser qu'un abandon marquera le chien suffisamment pour lui donner, parfois, des difficultés à se réintégrer à une nouvelle famille, qui n'aura peut-être pas les mêmes habitudes. Nier les problèmes psychologiques des chiens abandonnés, n'est-ce pas nier leur sensibilité lors de cet abandon?
Bien sûr ce sont tous de gentils animaux qui méritent de trouver une nouvelle famille, mais je ne pense pas que ce soit les aider que de faire croire qu'ils seront comme "n'importe quelle autre boule de poils" qui, elle, n'a jamais connu de traumatisme. Disons qu'il existe une possibilité, et qu'il me semble peu productif de la nier. Comme il me semble peu productif de cracher sur tous les éleveurs, y compris ceux qui se ruinent par passion pour produire les meilleurs chiens possible, avec le meilleur mental possible, éliminer les maladies génétiques etc, mais c'est une autre histoire, et je crois que vous en avez déjà parlé.
Merci de m'avoir lue (si vous avez tenu jusque là ;-) )