Après il faut voir ce qu'on met derrière le terme « masculiniste ». Il a été réquisitionné par des hommes misogynes, mais en soi, ça fait que les mecs qui sont ce que j'appellerais des « masculinistes au vrai sens du terme », à savoir qui luttent contre la façon dont le sexisme et le patriarcat font du mal aux hommes et entravent l'égalité, bah... ils n'ont pas vraiment de mot à utiliser !
Typiquement, si je suis un mec qui lance une plateforme d'écoute pour les hommes victimes de viol, je ne vais pas forcément parler de démarche féministe (car plein de gens pensent qu'un mec ne peut pas être féministe et que ça peut brouiller le message envers les hommes concernés), mais je ne vais pas parler de démarche masculiniste (car le terme a été largement dévoyé)...
Il y a pourtant chez les masculinistes des discours très sains, comme sur
mon subreddit préféré, MensLib (pour Mens Liberation Movement) qui est un concentré de réflexions politiques, de quête de l'égalité, de féminisme, d'inclusivité, de bienveillance, d'écoute, bref rien à voir avec ce qu'on met derrière le mot « mascu » au premier abord. Et pourtant ce sont des hommes qui s'intéressent aux problématiques masculines dans le cadre du patriarcat
mais ils n'utilisent pas le terme masculiniste, hein, ils savent bien que c'est... connoté, dirons-nous !
Je trouve ça quand même dangereux d'essayer de réhabiliter le terme de "masculiniste", d'autant plus que les militants antisexisme que tu mentionnes ne l'utilisent pas eux-mêmes. Ce n'est pas tant que ce terme a été réquisitionné par des misogynes alors qu'il désignait une juste de cause à l'origine que le fait que l'usage de ce mot a toujours été très politique et une façon d'écraser le combat féministe.
A l'origine du mot "féminisme", on a un mouvement de femmes qui luttaient pour des
droits qui leur étaient niés, c'est-à-dire essentiellement sur le le plan juridique et légal : le droit de vote, l'émancipation maritale légale, le droit à recevoir une éducation, puis plus tard le droit à l'avortement, l'égalité salariale etc. Les autres aspects du féminisme (rapports genrés, théories sociales, etc.) se sont développés quand suffisamment de ces droits ont été acquis, mais le combat pour le droit est TOUJOURS une grande composante du féminisme. Bien sûr, à l'origine, les féministes théorisaient aussi sur l'égalité naturelle entre hommes et femmes, l'intelligence des femmes, etc. Mais ces théories avaient pour principal objectif de prouver que les droits qu'elles demandaient étaient légitimes. C'était donc toujours un combat pour faire changer la loi.
Aujourd'hui, le féminisme travaille sur plein de choses qui ne sont pas directement liées à la loi, parce que l'égalité des droits est beaucoup plus une réalité, mais le fondement du combat, ça reste le droit et la loi.
Donc quand des hommes choisissent le terme de masculiniste pour désigner leur mouvement, ce n'est pas un hasard. Ils prennent le mot miroir du mot féminisme pour indiquer que les hommes aussi sont privés de certains droits au profit d'une autre catégorie, les femmes. Or, ça, c'est exactement l'ennemi du féminisme : les hommes ne sont pas lesés au profit des femmes par la loi, c'est bien l'un des domaines où c'est assez évident, et affirmer le contraire, c'est une façon d'entraver la progression des luttes féministes. Les quelques domaines où les femmes peuvent obtenir quelques "avantages" légaux supplémentaires (des points retraites pour avoir eu des enfants, un congé parentalité plus long, le service militaire pas obligatoire etc.), non seulement la loi en a souvent neutralisé le genre au cours des dernières décennies et c'est désormais accessible autant aux femmes qu'aux hommes, mais la plupart du temps ça ne découlait pas d'une injustice ou d'une aberration patriarcale basée sur des préjugés de genre mais d'une tentative de réduire les effets des inégalités genrées dont auraient été victimes les femmes au cours de leur vie ou d'éviter de les exposer à un environnement qui les aurait mis en danger du fait de leur genre.
Le terme masculiniste s'est popularisé en France avec les associations de père qui criaient partout que les pères n'avaient pas assez de droits parentaux. Et au début, j'y ai cru d'ailleurs. Puis en fait, en examinant les choses de plus près, ça devenait assez évident que les pères réellement lesés juridiquement de manière totalement arbitraire et injuste comme peuvent ou ont pu l'être les femmes dans d'autres domaines, c'était un infime minorité de ceux qui manifestaient réellement. Ce mouvement se réclamait du masculinisme pour RETIRER des droits à leurs ex-compagnes et les faire baver tout en prétextant que la loi n'était pas en leur faveur à eux, profitant ainsi de la crédibilité supérieure que la société attribue aux hommes.
Donc non, les hommes qui luttent pour renverser le système patriarcal et réduire sa toxicité pour les hommes, ça ne sont pas "masculinistes au vrai sens du terme", parce que le mot masculiniste, en tant que miroir du mot féminisme, ça se réfère aussi à l'organisation légale et institutionnelle de notre société. Or, les hommes qui veulent avoir le droit d'exprimer leurs sentiments pour réduire les suicides et la dépression ches les hommes, qui veulent changer les mentalités sur le rôle de père etc., c'est assez peu sur la loi directement qu'ils vont agir et plus sur des campagnes de sensibilisation, des programmes d'actions, la diffusion de théories, etc. Bien sûr, il y a des exceptions et des combats qui se jouent sur le plan légal (le viol par exemple), mais ils restent très marginaux et l'immense majorité des problèmes genrés des hommes ne découlent pas de la loi.
Je suis sûre qu'ils peuvent trouver un mot adapté pour décrire leur combat sans prétendre être un miroir du féminisme. Un truc tout bête comme "mouvements d'hommes anti-patriarcat", ça me parait suffisant pour illustrer ce combat.
Et je précise que j'ai dit que réhabiliter l'usage du terme "masculiniste" me paraissait dangereux, parce que certains arguments des masculinistes paraissent pertinents en surface (la question des pères par exemple) et séduisent donc facilement des hommes comme des femmes pro-féministe qui tiennent à réellement défendre l'égalité. Le fait d'étiqueter le mouvement masculiniste comme tel les aide à identifier plus facilement la démarche politique derrière l'action masculiniste, un peu comme quand on qualifie "d'extrême-droite" un mouvement, ça permet aux gens moins aguisés politiquement de voir tout de suite de quoi on parle. Mais si on commence à dire qu'il existe une extrême-droite qui lutte pour l'égalité et contre les injustices, à distinguer de l'extrême-droite qui promeut la haine et la discrimination, bah ça devient super flou pour les gens qui s'y connaissent pas super bien en politique et ça permet à "l'extrême droite qui promeut la haine" d'attirer beaucoup plus facilement du monde sous une apparence de discours de bon sens. Il en est de même pour les masculinistes, si on commence à dire qu'il y a des masculinistes positifs et des masculinistes haineux, le discours masculiniste haineux va avoir la porte grande ouverte pour convaincre de nouveaux adeptes.
Donc je pense que le mieux, c'est bien de nommer autrement les mouvements d'hommes qui cherchent à lutter contre les effets du patriarcat sur leurs vies.