J'espère que je ne suis pas hors sujet, parce que les pratiques diffèrent grandement entre les pays, mais j'aimerais apporter mon témoignage quand même, en tant que Belge, parce que je suis très liée à ce sujet et que j'ai beaucoup réfléchi à la question en raison des nombreux débats chez nous.
Beaucoup caractérisent les rites d'intégration - chez nous, on appelle ça le baptême, je suis donc "baptisée" , et les "bizuts" sont appelés les bleus - de bizutage, Ségolène Royal s'étant elle-même fendue d'une lettre ouverte à notre premier ministre afin de lui conseiller d'interdire les baptêmes. Les baptêmes prennent place dans les grandes universités du pays - la mienne est l'UCL - et durent de trois à six semaines en moyenne. Tous les baptêmes sont réglementés par une Charte en accord avec les autorités de l'université : ce n'est donc pas une pratique cachée, secrète.
Il n'y a évidemment aucune obligation de faire son baptême, et ceux qui le commencent peuvent l'arrêter à tout instant.
Je pense que le baptême, et les rites d'intégration en général, du moment qu'ils sont encadrés, sont vraiment une chose positive et ils ne doivent pas être assimilés à du bizutage.
C'est une porte d'entrée vers un folklore très riche, un folklore qu'on a tendance à ne pas montrer, à oublier. Pourtant, ce folklore a un intérêt : c'est celui de nos grands-parents, de nos parents, et personnellement, c'est celui que j'aimerais continuer à transmettre.
Il y a une richesse incomparable en chants paillards, et je trouve que ce serait dommage de passer à côté. Si on peut tout à fait s'intéresser à ce folklore sans passer de rites d'intégration, il faut avouer que c'est un moyen d'y accéder privilégié, et le fait que ce soit principalement une culture orale et qui se vit en est la principale raison.
De plus, le baptême - les rites d'initiation en général - prennent place, forcément, au début des études supérieures. C'est facile de se laisser dépasser par la grandeur d'une fac, de se sentir perdu parmis des milliers d'étudiants. Par conséquent, le baptême, même si chez nous, pendant quelques semaines, on n'est qu'un bleu parmis tant d'autres, nous permet d'établir un lien privilégié avec d'autres gens de notre fac, avec des anciens, et des gens d'autres facs également.
Comme je le disais, pendant un certain temps, il y a donc humiliation et perte de l'identité. Mais si ces termes sont négatifs, dans l'expérience, et à la fin du baptême, ils ne le sont pas. Arrêter son baptême - et je n'ai aucun problème avec ceux qui le font, ou ceux qui ne le commencent pas, ou ceux qui détestent ça, j'ai de très bon amis comme ça -, c'est s'arrêter à ces sentiments négatifs, justement, et ne pas connaître la fierté de se relever et de dire "je l'ai fait". Et de se retrouver entouré de dizaines de personnes qui te connaissent, qui t'ont vu en chier, qui t'ont fait en chier d'ailleurs
, mais qui ont donné de leurs temps pour ton intégration.
Pendant le baptême, il n'y a pas de beau, de moche, de bien fringué ou pas, pas de populaire, d'intéressant : tout le monde est dans la même merde, et de cette merde commune naît un sentiment de solidarité très fort. Les rites d'intégration cassent des pratiques sociales qui existent toujours - ce n'est jamais facile d'arriver dans un nouvel endroit - au moyen de traditions.
Le plus important à mon sens, c'est que c'est un grand jeu de rôle entre les "méchants anciens" et les "nouveaux opprimés". Il y a donc
pendant la durée du baptême seulement deux groupes distincts; l'humiliation personnelle est exclue : c'est tout le monde dans le même sac, un point c'est tout. C'est après le baptême qu'on apprend à s'apprécier dans son individualité.
Mais malgré ces "on va en chier", ces humiliations et autres brimades, ces activités sont aussi des moments géniaux, où on se marre énormément, ou on apprend énormément sur soi-même et ou on apprend à se dépasser.
Quant au problème de l'alcool, il est, en tout cas chez nous, étroitement surveillé, et le bleu peut tout à fait choisir de faire son baptême à l'eau.
On ne se voile pas la face; les dérives sont bien évidemment possibles, mais j'en ai la preuve dans mon expérience personnelle, elles sont contrôlées au maximum et tout le monde fait énormément d'efforts dans ce sens, pour que ce grand jeu de rôle reste positif pour chacun.
Désolée pour ce super long post, c'est un sujet qui me tient fort à coeur