A propos de la littérature :
J'adore lire des classiques. J'aime lire de la science-fiction aussi, et ça n'a rien de contradictoire. J'ai connu une ribambelle de profs de littérature étant donné mes études, et il y avait vraiment de tout. Le prof de lycée qui aurait voulu enseigner à la fac et qui méprise ses élèves, la prof de lycée géniale qui nous fait découvrir les dessous de la littérature et nous libère de l'idée d'un corpus oppressant pour retrouver le plaisir de lire, la prof de lycée timorée qui doit préparer un programme d'oeuvres qui ne lui parlent pas forcément alors elle s'appuie sur les annales publiées dans l'année, les profs de khâgne qui ne répondent pas quand je pose la question "mais au fond, qu'est-ce que c'est exactement la littérature"? (dont la prof à cheval sur la critique littéraire qui l'aborde à un niveau quasiment inaccessible pour un élève qui vient d'avoir le bac), le prof qui part dans tous les sens et élude justement ces questions, la prof latiniste hyper théâtrale qui part dans des envolées érotico-freudiennes dans tous les textes, la prof qui donne envie de lire le texte et l'interpréter en se servant de la critique comme outils seulement et en replaçant notre jugement au centre de la lecture (tant qu'il reste cohérent), le prof pédant qui enseigne des littératures de genre (roman détective, fantastique...) mais que ça ne gêne pas de dire que "les graphic novels, ça n'est PAS de la littérature", et j'en passe.
Donc après des années et des années d'étude, mon point de vue, c'est qu'il n'y a pas de définition rigide de la littérature. Il y a des auteurs, il y a des textes, il y a des lecteurs qui interagissent les uns avec les autres. Une bonne lecture selon moi, ce n'est pas lire un livre de qualité, c'est avoir un regard de qualité quand on lit un livre et se poser des questions face à son expérience et son interprétation du texte; et ça, ça s'entraîne. Finalement, on en revient à la définition la plus simple que m'a donné en première ma prof de lettres : la démarche littéraire, c'est partir d'un texte et se baser sur ce texte pour en donner son interprétation personnelle. Si on a des cours de grammaire, de poétique, de stylistique, de narratologie, etc. c'est que ça nous permet d'avoir des outils de lecture des textes, puis des arguments pour partager sa propre lecture par la suite. Personnellement, j'ajouterais qu'une bonne lecture doit être cohérente avec le texte lui-même (pas de contradiction par rapport à ce qui est écrit, d'où la nécessité d'analyser le texte de près), et cohérente avec elle-même. Une bonne interprétation du texte peut être tout à fait n'importe quoi, tant qu'elle s'appuie sur le texte et ne le contredit pas, et tant qu'elle ne se contredit pas elle-même (mais si elle est anachronique, elle a intérêt à spécifier qu'il ne s'agit pas d'intention d'auteur mais de réception moderne).
Un de mes profs disaient qu'il y a deux lectures d'un texte : la lecture plaisir, et la lecture interprétative (elles sont tout à fait compatibles hein, y compris dans le même temps). Je crois que la lecture interprétative est une conséquence de la littérature plaisir (mais n'oublions pas que pour les profs de lettres, la lecture interprétative, c'est aussi un métier). Si le concept de "lecture plaisir" vous intéresse, je vous recommande Le plaisir du texte de Roland Barthes.
Après, il y a des oeuvres qui se prêtent particulièrement bien à des lecture interprétatives, qui stimulent la réflexion du lecteur et lui permettent de tenir son propre discours, des "oeuvres de liberté" si je puis dire. Pour moi, c'est ça une grande oeuvre. C'est parce qu'il y a plusieurs niveaux de lecture dans Madame Bovary et qu'on a une grande marge de manoeuvre pour en parler à sa façon et avec son propre regard que c'est un si bon ouvrage. De ce point de vue, je crois qu'il y a une raison pour laquelle les classiques sont des classiques; même si, bien sûr, le goût personnel entre aussi en jeu, et on peut être totalement rebuté par le style d'un auteur et ne pas aimer ses livres (après je pense qu'on peut reconnaître qu'ils sont une matière riche à travailler même si on ne les aime pas).