Je vais tout vous dire. Je vais tout vous expliquer. Je regrette vraiment mon comportement avec vous la dernière fois. Je n'arrivais pas à vous regarder; je ne pouvais pas. Je déteste faire ça, j'ai l'impression de nier l'autre, de nier son existence - c'était un peu une façon de nier que vous existiez, oui, c'est vrai. Mais je ne voulais vraiment pas vous blesser, ni vous snober. Je ne sais pas comment vous avez réagi à mon attitude, après-coup. Je suis vraiment profondément désolée. Quand je vais trop mal, ou que j'ai honte de moi, ou les deux à la fois, je regarde sur le côté. Et je regarde sur le côté pendant toute la durée du temps qu'il faudra. Je suis vraiment conne, des fois. Vraiment. Je ne voulais pas vous ignorer. Je n'ai pas pu faire autrement, c'est tout. Je voulais me protéger et je voulais me protéger de votre regard. Et puis j'avais mis une robe - j'ai fait cette erreur! Comme je me sentais mal à l'aise, comme j'avais honte, je me sentais déguisée en Femme et j'ai pensé que vous alliez peut-être prendre ce vêtement comme une tentative de séduction vis à vis de vous. Je ne veux pas vous séduire. Je ne veux pas ête regardée comme une femme. J'ai pensé que vous pouviez me regarder ainsi. Que vous alliez interpréter ce geste - je sais que vous observez les tenues, la présentation, attentivement, sans le montrer. Mais quelle honte, cette robe! On aurait dit que je vous en voulais à vous d'avoir mis moi-même cette robe. Je me retrouvais confrontée à une espèce de désir de vous plaire, que j'aurais voulu anéantir.
Et puis dès le début j'ai senti que j'allais vous rejeter; cela me le fait beaucoup aussi avec le psy. Il suffit que je vous regarde dès le départ et que je me méfie et c'est foutu. Et puis, j'avais vraiment pas envie d'être dans cette pièce-là, de relaxation, tenue par une femme habituellement; toute bleu foncé, elle est glauque et sur le lit une place, dans le fond il y a ce couvre-lit plié bleu marine avec des sortes de pellicules des cuirs chevelus de gens qui m'angoisse. On sent que c'est habité par une femme, on le sent. Je n'étais pas à l'aise - il me faut une pièce, un univers d'homme, un lieu masculin.
Je vous ai rejeté parce que je voulais MON infirmier. Depuis que je vous connais je vous rejète tout le temps, je ne sais pas si vous vous en êtes rendu compte - vous avez pris la place de mon infirmier, vous savez, et je ne l'accepte pas. C'est une place illégitime. Ce n'est pas juste. Je ne vous en veux pas, vous n'y êtes pour rien, vous n'avez rien fait de mal, vous faites votre métier mais je vous en veux d'être là, vivant, à sa place, en quelque sorte. Il faudra que je vous l'explique, que je vous dise, il faut que vous sachiez. J'ai un rapport très ambivalent envers vous, le psy et le psychiatre. Je peux passer de l'amour à la haine en quelques secondes. Je n'avais pas ce rapport-là avec l'infirmier: lui me comblait. C'était de l'amour à profusion. J'étais bien, en symbiose, j'étais dans son ventre, dans un cocon de douceur et de sérénité. Avec vous, non. Vous ne m'aimez jamais assez et ne me bercez pas comme je le voudrais; je ne suis pas votre préférée, vous ne voulez pas entrer dans mon jeu de théatre, enfiler le costume que je voudrais vous voir porter. Je demande un Père, et j'ai en face de moi un soignant qui ne veut pas l'être, parce qu'il ne le faut pas. Je sais bien qu'il ne le faut pas, mais j'en ai ras le cul des règles et cette putain de distance thérapeutique que vous vous evertuez à planter entre nous. Il y a trop de distance. C'est pour cela que je vous rejète et que je rejète le psy et le psychiatre dès qu'ils ne jouent pas dans la pièce où je veux qu'ils jouent, avec moi.
Oh, et puis vous ne me rassurez pas non plus. Quand je vous exprime la peur, la hantise d'être abandonnée par vous, le psy et le psychiatre, vous me répondez qu'on ne sait jamais, que peut-être dans quelques années vous et eux voudront changer de voie, de lieu, de contexte et partir ailleurs et qu'il y aura toujours malgré tout des gens pour moi au CMP. Vous m'achevez littéralement quand vous me dites ça. Il faut me rassurer. S'il vous plaît. Je me fous des autres soignants, je ne veux pas passer ma vie à changer de "figure", de point de répère, d'ancrage. Je veux que nos liens soient perpetuels, eternels, y croire même si ce n'est pas vrai, laissez-moi y croire, je veux, j'a besoin, j'exige cette sécurité que je ne sais pas trouver dans ma vie. J'ai déjà beaucoup de mal à vous raconter ma vie, car mon infirmier savait quasiment tout sur tout; vous ne croyez pas que dans deux ans, je vais encore recommencer avec un autre! Ca suffit!
Je ne peux pas m'investir avec vous si je sens que vous n'êtes pas ancrés dans le temps et la durée avec moi, et dans l'affection. Je sais, les liens affectifs n'ont pas interférer dans une relation thérapeutique. Mais vous m'emmerdez! C'est un Père que je recherche au CMP et si vous voulez que j'aille mieux, il vous faut accepter de prendre ce rôle, au moins par moments, au moins quelques secondes, juste parce que j'ai besoin de cette image paternelle pour pouvoir me reconstruire et plus que jamais aujourd'hui, j'en ai besoin, je n'ai pas de Père et il m'en faut un, surtout depuis que j'ai perdu l'infirmier qui le représentait à merveille.
S'il vous plaît, ne m'en voulez pas. Je vous expliquerai tout.