Après celle de ma meilleure amie les annonces de grossesse continuent, et alors que tous ces gens là sont bien plus vieux que moi et ont des vies très différentes de la mienne je ne peux pas m'empêcher de me comparer et de me sentir très seule.
Il y a peu une série télé que j'ai regardée pour la deuxième fois m'a beaucoup touchée. Un des personnages principal est un grand déprimé (j'ai du mal à le concevoir sous un autre terme, mais peut-être que je me trompe) et se lance souvent dans des longues tirades sur l'aliénation et les illusions que se créent les humains, notamment celle de se sentir unique et de ne pas être seul. Il se dit lui-même adhérant à une philosophie "pessimiste" (non, c'est pas vrai ?
). Et même si je n'en suis pas au stade où je vis comme lui reclue chez moi car je n'ai plus espoir dans la vie et que l'espèce humaine me dégoûte, je me suis énormément identifiée à lui dans sa façon de décrire le manque de sens derrière les actions des Hommes, et la répétitivité de leurs actions.
Ces changements dans la vie de mes proches, toujours les mêmes, toujours de la même manière, toujours vers les mêmes aspirations, trouver l'amour, acheter un logement, faire un gosse, deux, vendre son logement, déménager en banlieue proche, se fâcher avec son compagnon, peut-être le quitter, ou alors faire une thérapie pour éviter de le quitter, changer de travail si on en a encore le courage, accumuler les regrets, voir les copains le dimanche midi, les critiquer dès qu'ils ont foutu le pied dehors... Je veux pas faire le cliché du "ces personnes n'ont rien compris et sont des moutons alors que moi j'aspire à autre chose", parce qu'en fait, j'ai envie de ça moi aussi, j'ai envie de consensualité, j'ai envie d'être entourée, je n'ai pas envie de me faire chier à avoir une vie alternative et le justifier auprès des autres, je n'ai pas non plus envie d'être seule. Je ne suis pas une marginale du tout même si j'ai du mal à m'inscrire dans plusieurs des choses citées au-dessus : je ne suis pas douée avec l'amour, j'ai des angoisses, une santé mentale fragile, donc voilà, quand pour certains la ligne est tracée depuis longtemps moi j'ai l'impression de mettre du temps à m'inscrire dans la normalité.
Mais, quand je prends du recul, quand je ne regarde pas simplement le monde qui m'entoure mais que je me mets à l'observer avec un pas de côté, j'ai la sensation d'un manque de sens extrême, d'une vacuité, d'une rébarbativité affreuse et aliénante. Et je pense qu'il y a de ça qui me touche dans le fait que ma meilleure amie soit enceinte, parce qu'avec elle je partageais ce regard curieux et morose, je partageais cette sensation de vide, d'étrangeté, alors que maintenant elle est passée du côté des normaux, elle qui demandait avec sincérité aux autres pourquoi ils faisaient un gosse parce qu'elle était incapable de le comprendre, elle qui clamait qu'elle habiterait toujours au centre ville parce que la vie c'est sortir, et elle qui maintenant est comme tout le monde, en cloque, à chercher une maison en proche banlieue, et vivement le break avec le siège-auto et vivement l'inscription à la crèche. Elle a poursuivi son chemin comme tout le monde, vers la norme, vers tout ce qui va combler sa solitude, tout comme son mec l'avait poursuivi, et si l'on remonte plus loin, ses parents, et leurs parents avant eux. La grande chaîne se reproduit, inlassablement, avec la sensation de vivre quelque chose d'unique alors que les voisins du dessous et du dessous vivent la même avec leur propre sensation d'être unique. Bientôt elle dira les grandes phrases communes, "c'est fou d'avoir la responsabilité d'un être humain", "oh tu sais j'ai plus trop le temps de regarder de films, tu verras quand tu seras maman !", "les choses ont pris beaucoup moins d'importance après sa naissance", comme des milliards d'autres personnes l'ont déjà prononcé avant elle.
Et alors que ça doit aussi être loin d'être transcendant, alors que c'est d'un commun sans nom également, bah quand on était torchées et droguées, au pied des scènes de concert, portées par la foule, les yeux vers le ciel étoilé, à en profiter pour se prendre dans les bras parce qu'on en était bien incapables sans substances pour aider, à se dire qu'on aurait voulu que cette nuit dure toute la nuit, là j'avais l'impression de toucher quelque chose de grand, quelque chose de la liberté, de la sensation pure, loin d'une aliénation, loin de l'ennui, quand bien même tous mes voisins de foule auraient pu dire la même.