@Clemence Bodoc
Réduire la Belle et la Bête à un syndrôme de Stockholm, c'est vouloir à toutes forces plaquer sur cette histoire très ancienne une lecture contemporaine et totalement réductrice.
La Belle et la Bête est un
conte, et de ce fait, outre les éléments magiques qui le distancient de la réalité, il répond à des besoins psychiques et symboliques. S'ils ont été répétés générations après générations aux enfants, l'histoire se polissant petit à petit, c'est qu'ils répondent à des angoisses chez les enfants, et leur donnent des clefs pour combattre ces angoisses. Comme une autre Mad l'a évoqué avant moi, ces besoins et ces symboles ont été étudiés notamment par Bettelheim.
Ainsi, pour la Belle et la Bête, ce que nous montre le conte, c'est qu'aux yeux d'une jeune fille immature, un homme peut apparaître comme une bête repoussante et sauvage. Cet homme serait-il de la meilleure naissance (la Bête est un prince), si la jeune fille n'est pas prête, la forcer ne changera rien. En revanche, une fois que la jeune fille est mature, qu'elle devient adulte et choisi de s'éloigner de sa famille (dans le conte, la Belle quitte une deuxième fois sa famille, mais cette fois de son propre chef), une fois qu'elle est amoureuse (et là réside l'élément sexiste), elle ne verra plus l'homme comme une bête mais comme un être humain comme elle.
Un enfant n'entendra pas le message du syndrome de Stockholm, le plus souvent, ce qu'il entendra, c'est que les futurs amoureux doivent prendre le temps de s'apprivoiser,
Pourquoi Fifty Shades est plus dangereux ? Parce qu'il ne met aucune distance avec la réalité. Parce qu'il joue sur des clichés qui sont déjà très présents dans notre société (le bad boy, l'amour qui fait souffrir, etc) et les amplifie. Et réussi à nous faire passer une histoire de violence comme étant une belle romance un peu "osée". Je ne sais pas si qlq chez Madmoizelle a déjà réellement lu ce roman, mais il y a de vrais scènes de viol. Pire, des scènes de viol que l'héroïne, tout en se sentant mal, n'identifiera jamais comme étant du viol.
Et donc non seulement Fifty Shades joue sur tout cela, mais il place son influence dans le domaine de la sexualité. Domaine encore plus dangereux car la sexualité est un huis clos. Et que donc, les personnes vulnérables risquent encore plus de tomber sous la coupe de vrais "bad boys" et d'en souffrir sans oser en parler.
Puis ça donne une image fausse et dangereuse du BDSM.
Puis c'est totalement anecdotique et pas dangereux, mais à partir du tome 3, le livre devient une apologie puante du capitalisme. Et les deux protagonistes deviennent aussi immondes l'un que l'autre.
Alors, qu'elle est la responsabilité des médias qui choisissent de relayer telle ou telle oeuvre ?
Déjà, pour moi, parler d'une certaine oeuvre juste parce que tout le monde en parle, c'est absurde et c'est le serpent qui se mord la queue. Quand on est face à quelque chose d'aussi insignifiant et mal foutu (même si le film est meilleur), et qu'en plus ça porte des messages dangereux, pourquoi en parler ? A moins qu'il n'y ai une raison économique, je ne vois aucune raison de le faire.
Après, si vous trouvez une oeuvre bonne/intéressante/... mais qu'elle a des aspects problématiques, rien ne vous empêche d'en parler et de faire une critique équilibrée (j'aime Mad Max Fury Road d'amour mais je ne rate jamais une occasion de dire que ça me brise le coeur qu'ils aient détruit un désert pour le filmer).
Bref, just my two cents.