Comment savez-vous cela ? dit la vieille marquise, entassant les rides sur son front devenu songeur.
— Je l’ai su, reprit la comtesse, par le vieux vicomte de P***. C’est un vieux lynx. Il est très fin et très madré. Il est un peu de ces vieillards qui eussent regardé Suzanne au bain par le trou de la serrure ; mais s’il menait la vie d’un sage, nous ne saurions rien de tout ce qu’il nous faut savoir. Le vicomte connaît la donzelle. Il va chez elle, ou il y allait autrefois. Il vous donnera, si vous voulez, les détails les plus circonstanciés sur cette liaison qui me paraît assez ignoble.
— Dix ans ! répondit Mme de F**. Les mariages persans n’en durent que sept ; et en Italie, les sigisbées — qui fêtent parfois des cinquantaines — sont d’assez minces possesseurs. Ils sont la petite monnaie de cet imbécile de Pétrarque. Mais dix ans de possession intégrale à laquelle la loi n’oblige pas, — ajouta-t-elle avec un reflet tiède du XVIIIe siècle dans les idées, — voilà quelque chose de singulier en plein Paris ! Malepeste ! il faut que cette femme soit bien belle ou terriblement habile, pour ramener des bras de toutes les autres femmes un homme comme M. de M***.
— Eh bien, pas du tout ! fit Mme d’A****, qui tenait à verser sa goutte d’acide prussique dans toutes les pensées de son amie. Le vicomte la dit assez laide, d’un caractère fort extravagant, et plus âgée que M. de M****, qui a trente ans.
— Hein ! ce ne sont pas là des séductions bien omnipotentes, dit la marquise. Mais votre vieux scélérat de vicomte n’a vu cette femme que dans son salon… a-t-elle un salon ? et M*** l’a vue ailleurs. Cela change la thèse. Les meilleures actrices ne sont bonnes que dans certaines pièces. Moi, je fais ce raisonnement- -ci, ma chère : ou c’est une ancienne relation craquant de toutes parts, depuis le temps qu’elle dure, et alors H**** rompra ce nœud tiraillé et usé en se jouant ; ou la créature est à craindre, et alors, si elle l’est, elle l’est beaucoup ! car M**** a trop expérimenté les femmes pour ne pas les savoir à fond, et, laide ou non, ce serait donc le résumé de toutes les séductions des autres, puisqu’on les quitte pour revenir à elle ; enfin, une espèce de maîtresse-sérail. »