Parce qu'hier tout ce que j'ai entendu c'est que visiblement Macron ne s'attendait pas à faire un score aussi important, qu'il tablait sur 60% et que ces 6% en plus vont lui donner des ailes (et un tour de tête supplémentaire).
Oui et Marine Le Pen s'attendait à faire mieux. Elle a donc fait un score décevant, ce qui est très important.
Je vois beaucoup de gens dire "oui mais de toute façon, c'est aussi le gouvernement d'Hollande et de Sarkozy qui ont fait monter le FN". Tout à fait. Mais comment ils l'ont fait? En tenant des propos et mettant en place des mesures qui ont déverrouillé la parole raciste. Les gens se sont sentis légitimes pour être anti-musulmans, anti-immigrés, anti-roms etc. parce que les politiciens leur donnaient l'impresseion que c'était tout à fait respectable. C'est l'effet de masse, le fait que cette parole soit de plus en plus publicisé qui a donné le sentiment à une grosse partie de la population que les idées du FN c'était ok.
Il y a 30 ans, ça n'aurait pas été possible. Non pas que les gens étaient moins racistes (du tout) mais parce que c'était très mal vu d'être ouvertement en faveur de certaines idées. La dédiabolisation du FN, c'est ça. C'est de dire "c'est un parti auquel beaucoup de gens respectables adhèrent" et non plus "c'est un parti de skinhead dangereux".
Et quand tu rends ok la possibilité d'exprimer certaines idées à haute voix, tu rends ok le fait de l'exprimer également par des actes, et tu rends progressivement ok le fait de théoriser ces idées, de les approfondir, de les exposer en détails, en bref de les rendre de plus en plus profondément dangereuses et réfléchies. Il y a 30 ans, les gens qui avaient des idées racistes et les gardaient pour eux, ils en avaient un sentiment confus. Ils n'avaient pas vraiment d'argument à développer car ils n'en discutaient avec personne, et parfois même ils se disaient "c'est mal de penser ça" et s'empêchaient de les approfondir dans leur tête. Aujourd'hui, ils ont plein de gens qui les développent pour eux, plein de gens qui disent "c'est vrai" en écho à leurs pensées.
Laisser le FN faire un score élevé, ça voulait aussi dire ça, crier à la face du monde : "le FN a des idées acceptables, tu n'es pas seul à les penser, tu peux donc les exprimer ouvertement!". On a vu après l'élection de Trump que les actes de violence contre les minorités se sont brutalement multipliées, les personnes noires ou musulmanes entendaient tous les jours "tu vas devoir rentrer dans ton pays car maintenant, Trump va nous défendre contre les gens comme toi!", alors que Trump n'avait même pas encore été investi de ses pouvoirs. Et le truc, c'est que l'élection de Trump a aussi donné lieu à des actes de violence dans d'autres pays du monde car ça a envoyé le message à plein d'autres gens des pays occidentaux que leur racisme était légitime, que c'était une opinion qui pouvait diriger un pays.
Décevoir le FN c'est plus important que de vouloir éviter de faire plaisir à Macron parce que ça bride encore un peu tous ces gens, et ça bride aussi tous les gens d'extrême-droite en Europe. Parce que même si c'est juste un "barrage temporaire", je crois que c'est déjà quelques années de gagnées. Donc non, il ne faut pas se focaliser sur le fait que Macron a fait 6% de plus que prévu mais que le FN en a fait 6 de moins que ce qu'il attendait, et que ses militants étaient déçus parce que la France accepte moins leurs idées qu'ils ne le pensaient.
Mathématiquement, plus le score du FN est bas, plus celui de Macron est haut mais perso, je préfère un score FN bas pour envoyer le message aux gens qui le soutiennent qu'on n'acceptera moins bien leurs idées qu'ils se l'imaginent plutôt qu'un score Macron bas qui certes dira à Macron "t'es pas trop populaire" mais en même temps "le FN yen a beaucoup qui l'acceptent".
Par ailleurs, Macron a reconnu à contre-coeur que les gens ne votaient pas tous pour lui par passion. En 2002, Chirac avait pu se permettre de faire comme si c'était SA victoire parce que l'UMP avait eu facilement la majorité parlementaire à l'assemblée et parce qu'il était sans conteste le premier parti de France, loin devant. Aujourd'hui, rien n'est aussi clair : le PS est à la fois dans l'opposition et la majorité parlementaire, et les LR, la France insoumise et le FN ont fait des scores proches d'en Marche, ce qui laisse penser que la répartition des sièges au Parlement pourrait être tout sauf nette, voire même pas en faveur d'En Marche.
Macron ne pourra pas ignorer la particularité de son élection s'il veut pouvoir mener des projets à bout. Alors je pense qu'on peut tout simplement se réjouir que le FN n'a pas fait 40% plutôt que d'avoir peur d'avoir donné trop de crédit à Macron.
Franchement vu comme Lepen a dynamité sa propre prestation lors du débat-c'était quoi le but exactement? On aurait dit qu'elle avait fumé un pétard-, vues les déclarations soudaines de MMLP sur le mariage homo alors même que c'était pas le moment d'en parler, vue la nomination soudaine d'un second qui est négationniste, alors même qu'elle cherchait soi disant à redorer l'image du parti, et puisque les vrais extrémistes de droite ne voudront jamais d'une femme et d'un Philippot gay en tant que dirigeants, elle SAVAIT qu'elle allait se tirer une balle dans le pied et elle l'a fait.
J'ai lu des articles supposant que Marine Le Pen ne cherchait pas à gagner la présidentielle mais à se poser en opposante de Macron pendant ce débat. Et c'est vrai que ça m'a frappée parce que son discours de défaite disait exactement ça : "regardez, je suis la seule opposante crédible". Elle n'avait l'air absolument pas déçue d'avoir perdu, tout ce qu'elle avait cherché à avoir c'était le plus gros pourcentage possible en exploitant le rejet de Macron pour pouvoir ensuite profiter de cette dynamique dans un paysage politique éclaté et devenir la véritable opposante. Tous les cadres du FN ont ensuite répété la même chose "nous sommes l'opposition".
Je pense que c'est tout à fait crédible que ça ait été son but pendant le débat. Dès le début de la campagne, elle a ciblé très agressivement Macron avec la même stratégie "lui c'est le capitalisme, moi je lutte contre le capitalisme". Elle était beaucoup plus sympa avec Fillon ou Mélenchon, sa cible ça a toujours été Macron parce que les sondages suggéraient qu'il serait son adversaire et qu'elle préparait ce moment où elle deviendrait "la personne qui dit la vérité brute au pouvoir" en s'imposant comme la plus grande opposante de Macron.
Et c'est évident que le FN n'était pas réellement prêt à gouverner. Ils ont une stratégie à plus long terme, ils commencent par des villes mais ils n'ont pas encore atteint le stade de la région. Gouverner la France, avec son chômage et ses menaces terroristes, sa question des réfugiés à laquelle le FN a des réponses faciles mais qui ne sont pas si aisément applicable? La promesse de quitter l'Europe, très casse-gueule dans un contexte de Brexit? Non, tout ça aurait été une mission suicide pour le FN.
En fait, en réalisant que Marine Le Pen ne cherchait peut-être pas à devenir Présidente mais juste à se donner de la crédibilité comme opposante, ça m'a frappée parce que j'avais toujours analysé le problème à l'envers. Je voyais le FN comme un parti sans scrupule qui utilise la haine pour gagner du pouvoir. Je pensais que le but de Jean-Marie et Marine Le Pen, et celui de tous les cadres du parti, c'était le pouvoir, quitte à utiliser la mauvaise foi. Je pensais qu'ils n'avaient pas honte d'utiliser le racisme mais que c'était une stratégie immorale plus qu'une conviction, bien qu'ils s'appuient parfois sur des groupuscules durs pour qui le racisme est une idéologie.
En réalisant que le FN ne voulait pas réellement le pouvoir mais simplement devenir le parti le plus bruyant après le parti du Président, j'ai réalisé qu'en fait, son programme est un programme de militant. Le FN ne veut pas le pouvoir : il veut sincèrement imposer son idéologie. C'est tout simplement ça, son but ultime. Ses élus sont des militants. Et le FN ne pourra jamais aussi bien imposer son idéologie dans l'agenda politique que dans les rangs de l'opposition. Dans les rangs du gouvernement, son échec casserait tout son travail alors qu'on n'échoue pas vraiment comme opposant.