C'est une question que je me pose très souvent et je voulais justement l'aborder depuis un moment dans la Veille Permanente Sexiste mais je n'arrivais pas à mettre mes idées en ordre.
Personnellement, je considère que j'ai baigné dans des idées féministe depuis toujours. Donc je ne fais pas partie des gens qui ont un jour dit "ouh la non, je ne suis pas féministe!", bien au contraire. Par contre c'est vrai que je ne revendiquais pas haut et fort le terme parce que pour moi, la vraie féministe c'était la militante d'asso et je ne me sentais pas du tout à l'aise pour aller jusque là.
Je ne me sentais pas légitime pour porter réellement le titre de "féministe" déjà par humilité (je pensais que les militantes s'y connaissaient 10 fois mieux que moi) mais aussi parce que je me sentais souvent exclue du "vrai féminisme" par mon manque de "radicalisme". A vrai dire, j'ai même carrément longtemps fui les filles qui se disaient militantes féministes et faisaient des trucs du genre un doctorat sur le féminisme. J'avais pas eu des expériences super sympathiques avec les quelques personnes dans ce cas que j'avais rencontré, c'était du genre à te recadrer sèchement au moindre mot qui leur paraissait inconvenant sur le ton de "tu dis des choses intolérables et ne sais pas de quoi tu parles" ou à te prendre la tête pendant une heure si tu exprimais un désaccord.
Bref, pendant longtemps je me disais "le boulot des militantes est essentiel mais ce ne sera jamais pour moi". Et c'est en rencontrant des militantes plus "modérées" dans leur discours que je me suis rendue compte que le fossé entre le féminisme militant et moi n'existait quasiment pas.
Sur Internet, je découvre des trucs passionnants sur le sujet, je vois les choses différemment sur pas mal de thèmes mais... je retrouve aussi pas mal de ce discours enflammé qui me faisait fuir avant. Des plateformes comme Twitter encouragent ça parce que tu ne peux pas mettre les formes, tu t'exprimes sèchement, sans fioritures, immédiatement. Personnellement, je ne participe sur Twitter presque que si je suis d'accord avec la personne car sinon, j'ai l'impression que je vais me prendre une bonne claque dans la figure et ça m'est d'ailleurs déjà arrivé de me faire remettre à ma place brutalement juste parce que je disais "moi je vois pas les choses comme ça" et encore aujourd'hui, je pense que je n'oppressais personne avec mon opinion, j'avais juste une autre vision.
Bien sûr, je comprends aussi pourquoi ce radicalisme parfois. Avec certains anti qui peuvent être très violents et s'expriment impunément, ça oblige les gens à radicaliser leur discours parce que face à quelqu'un qui ne fait pas dans la dentelle, tu ne peux pas te faire entendre en restant poli et pédagogue. Donc je comprends les réactions épidermiques.
Internet est super pour échanger les idées, on apprend beaucoup, mais même si elles ont leurs raisons, je trouve que les féministes en ligne sont parfois un peu excluantes dans la manière dont elles s'expriment.
Par exemple, quand je lis certaines réactions féministes sur Twitter à cet article, ça me met vraiment en colère et c'est pas la première fois que je lis des trucs comme ça à propos de MadmoiZelle dans le "groupe des féministes online".
Je veux dire, qu'on soit pas d'accord avec @Marie.Charlotte, c'est une chose et je suis pas non plus d'accord avec tout. Qu'on aime pas MadmoiZelle, pareil, chacun ses goûts.
Par contre, dire "les gens de MadmoiZelle ne sont pas nos alliés, on les boycotte", je suis désolée mais je trouve ça EXCLUANT pour les centaines de filles qui se reconnaissent dans l'esprit de MadmoiZelle ET dans le féminisme. ça me donne l'impression que ces féministes m'excluent, ne me laissent pas le droit de vivre mon féminisme et de parler féminisme à ma façon. Que je ne peux pas réfléchir sur un article du site, y débattre ET être une vraie féministe.
Au fond, je trouve que c'est presque une mini-oppression puisque seules les grandes gueules du féminisme numérique ont le droit de parler et de diffuser leur pensée sur le sujet et toutes les autres peuvent se la fermer ou risquer de se faire insulter.
Et j'exagère pas quand je dis "insulte", ça vient aussi des féministes.
Il y a un moment, j'avais vu une MadZ qui disait dans les coms d'un article qu'elle avait été victime d'un viol. Je ne me souviens plus trop des détails mais en gros, elle expliquait quelque chose du genre qu'elle trouvait ça dérangeant qu'on ne puisse plus parler du viol comme on veut, ce qui a fait bondir certaines personnes.
Je veux dire, la MadZ est une VICTIME. Il me semble qu'en tant que féministes, on veut justement que les victimes puissent prendre le contrôle et décider ce qu'elles vont faire et penser après ce qui leur est arrivé.
Mais sur Twitter, des "féministes numériques" ont fait une copie d'écran de son message avec son PSEUDO et l'ont publié en des termes insultants. Je crois qu'il y avait des trucs du genre "t'es trop conne, ta gueule". La colère était peut-être légitime (si je comprends les filles qui ont réagi était aussi d'anciennes victimes et n'appréciaient pas le coup du "on ne peut plus parler de viol comme on veut!") mais le minimum me semblait de ne pas balancer en pâture aux Twittos comme ça un témoignage de victime "mal formulé" alors qu'il n'était pas destiné à Twitter et avait été rédigé dans la relative intimité de MadmoiZelle.
La MadZ s'en est aperçu et est allée parler à ces filles sur Twitter en disant qu'elle s'était mal exprimée, qu'elle ne voulait pas blesser et elle a continué à se faire incendier à coup de "J'ai pas à être patiente devant tes conneries".
Et je passe les commentaires que j'ai vu passer concernant d'autres filles "t'as vu, elle précise 'je suis féministe' AHAHAH la grosse blague!", genre je te refuse le droit d'être féministe parce que tu as écrit une phrase que je ne valide pas.
Peut-être que les féministes numériques qui s'énervent ont leurs raisons mais je suis désolée, quelqu'un qui ne t'oppresse n'a pas à s'en prendre plein la tronche, même s'il dit des trucs que tu trouves bêtes.
C'est limite du bullying.
Alors bien sûr comme l'a dit @DestyNova et d'autres, il y a une pression pour contrôler le discours des femmes et dans ce cas c'est TELLEMENT légitime de ne pas se laisser dicter sa conduite.
Et j'ai toujours pensé que la félicitation "la libération de la femme est la seule révolution qui a été faite pacifiquement!" est en fait hyper amère : peut-être que si ça avait été fait plus violemment ma grand-mère aurait eu plus de libertés parce que le boulot aurait été fait certes dans la douleur mais bien plus radicalement. Donc je comprends TOTALEMENT l'idée.
Mais je pense qu'il faut faire la distinction entre ceux qui ne veulent pas entendre et ceux qui sont de bonne foi. C'est une manière de se libérer de tenir tête à quelqu'un qui veut contrôler notre parole, de refuser de baisser le ton parce que ça le gêne, de ne pas perdre son temps à lui expliquer des choses qu'il ne prend pas la peine d'étudier.
Moi aussi, je le fais quand je sens que quelqu'un a décidé que j'avais tort, qu'il allait m'expliquer mon erreur mais qu'il n'écoute pas trop ce que j'ai à dire etc. Ces gens-là, je n'hésite pas à me mettre en colère, à les remettre à leur place, à couper court à toute discussion si je sens qu'ils ne sont pas ouverts au dialogue.
Mais il y a aussi les gens qui sont très sincères dans leur discours, qui n'ont jamais vraiment eu l'occasion de se remettre en question ou n'ont jamais eu la possibilité de vraiment réfléchir en profondeur. Et comment peut-on savoir qu'un raisonnement peut poser problème s'il a toujours semblé fonctionner et que jamais personne n'a pointé du doigt ce qui bloquait, ou alors seulement des gens si énervés qu'on avait juste l'impression de ne pas être sur la même longueur d'onde?
Ces gens-là, ça ne sert à rien de réagir comme avec eux. Bien sûr, on a le droit de se sentir blessée par leurs propos et de l'exprimer vivement mais en rester à cette colère exprimée, ça me parait bien peu productif dans pas mal de cas.
Depuis que j'habite à l'Ile Maurice et que je suis impliquée dans une asso qui touche à des idées type "progrès social, égalité", je me rends compte que c'est quand même vraiment nécessaire d'être patient et pédagogue avec toute une frange de gens plein de bonne foi mais hyper maladroits.
Je m'arrache les cheveux régulièrement, j'ai des coups de tension, j'ai envie de hurler quand je vois et j'entends certains trucs parfois. Je l'ai d'ailleurs fait une ou deux fois mais en voyant la mine ébahie des gens en face de moi qui pensaient bien faire, j'ai réalisé que je donnais juste l'impression d'être sur une autre planète, que mon discours ne pouvait pas les toucher si j'en restais là parce qu'on n'était pas du tout sur le même plan de réflexion. Si je voulais qu'ils continuent à vouloir échanger avec moi au lieu d'éviter tout sujet "polémique" en ma présence et au final faire les trucs à leur sauce sans demander mon avis, il fallait que je modère mes propos.
On n'a pas eu la même éducation parce qu'on a pas grandi au même endroit. Je ressens ces différences très nettement parce que là on parle d'un pays européen et d'un pays géographiquement africain dont les cultures se rencontrent mais à une échelle moins visible, c'est ce qui se passe au sein même de la société française : des parcours, des vécus, des éducations, des cultures familiales, locales etc. se croisent. On dirait qu'on est pareil mais on n'a pas forcément fait le même chemin et croisé les mêmes idées, les mêmes gens, on n'a pas subi les mêmes choses.
J'ai du m'efforcer d'employer des techniques "diplomatiques" que j'ai parfois presque envie de qualifier d'hypocrites pour faire passer mon message, parce qu'autrement personne ne l'écouterait.
Je dis souvent "ah je vois ce que tu veux dire, c'est une réflexion vraiment intéressante cependant j'ai quelques réserves..." et parfois j'exagère en disant "vraiment très pertinent le point que tu soulèves ici, merci beaucoup d'aborder le sujet" alors que je suis en mode

On ne peut pas se contenter juste des gens qui sont curieux d'en savoir plus parce que la curiosité ne nait pas toute seule : quelque chose ou quelqu'un l'inspire, surtout quand on a toujours appris que telle ou telle situation n'avait rien de suffisamment extraordinaire pour qu'on la remette en cause... et l'inspiration vient rarement quand on se sent attaqué.
Alors bien sûr, chacun milite comme il le veut et comme je le pensais autrefois, je pense toujours qu'il faut toutes sortes de gens pour faire avancer une cause : certains n'ont pas envie de passer du temps à expliquer et préfèrent se concentrer sur l'approfondissement des notions ou sur atteindre des gens déjà sensibles, d'autres préfèrent brasser plus large, d'autres rester juste entre eux, d'autres y aller avec le bulldozer etc.
Mais ce que je n'aime vraiment pas c'est cette espèce de mépris et de rejet envers des gens qui sont potentiellement des alliés mais ont une pensée confuse parce qu'ils n'ont pas encore beaucoup eu le temps de se familiariser avec toutes les idées sur le sujet.