Je reviens sur votre conversation, parce que y a deux choses qui m'ont fait réfléchir et qui me tiennent assez à coeur:
Pourquoi est-ce que ça me gêne de lire/entendre "les Chinois" (ou autre nationalité, groupe social, etc.) dans une conversation?
Le fait d'utiliser l'article défini renvoie à "l'ensemble des Chinois" ou en tout en cas au "groupe : les Chinois". Si on est dans une démarche sociologique (comme ça a été évoqué plus haut), on comprend "les Chinois" comme une réalité statistique, un chiffre, une mesure; ça sert à schématiser sur le principe de la proportion de la population; bref, ça ne reflète strictement aucune réalité humaine, seulement un pourcentage.
Mais si on n'est pas dans cette démarche sociologique, c'est-à-dire dans une étude dont le but est d'utiliser des outils pour mieux comprendre une population en tant qu'entité abstraite, on est dans un jugement purement personnel. On évalue un groupe de personne à partir de sa propre expérience - on peut avoir rencontré 5, 50 ou 500 Chinois, ça n'est jamais la population chinoise qu'on rencontre -, et le jugement devient personnel car on calque sur le groupe l'expérience qu'on a de certains individus constitutifs de ce groupe... et ce n'est plus un "groupe" mais une "communauté" puisqu'on place de l'affect là-dessus.
Ceci dit, on peut dépasser ce biais (le stéréotype) selon ce sur quoi il s'appuie. Si on pense que c'est une question de génétique et que "les Chinois" sont tous les mêmes, dans le sens où ils ont une nature/essence commune, on pense le groupe "Chinois" comme une race; on fait du darwinisme social en somme. C'est déjà du racisme au sens historique du terme (une discrimination raciale), qui peut aller jusqu'à un comportement raciste ou une banalisation des comportement raciste (il n'y a qu'un pas de l'idée qu'il existe des "races" humaines à l'idée que certaines valent mieux que d'autres).
Si on pense que cette distinction du groupe "les Chinois" par certains comportements et certains modes de pensée est le fruit de de normes et de traditions intériorisées par une communauté via l'éducation, on fait une lecture sociale de son expérience. En somme, on peut bien considérer que parler de "culture chinoise" a un sens. Alors voilà, personnellement, je préfère dire "culture chinoise" plutôt que "les Chinois". Peut-être que ça ressemble à du pinaillage mais je considère que c'est important car un individu peut s'émanciper de sa culture et n'est pas réductible à son éducation et aux normes de son pays en dépit de son héritage culturel et social. Je pense que c'est essentiel de se rendre compte de ce qu'on met derrière "les Chinois" car si on ne réfléchit pas à ce qu'on veut dire, si on n'explicite pas sa pensée, on peut facilement finir par émettre des propos xénophobes même si à la base on n'a pas du tout une pensée xénophobe.
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Une autre chose qui mérite réflexion à mes yeux, c'est de savoir ce que signifie "le racisme", et donc ce que "je suis raciste" peut bien vouloir dire. L'énoncé "tu es raciste" est considéré comme une insulte par beaucoup de gens... pourtant, il existe plusieurs degrés de racisme. Ce n'est pas la même choses d'avoir des biais de pensée racistes et de commettre des violences (verbales ou physiques) racistes. De la même façon, il existe différentes formes de racismes: le racisme au sens fort (la pensée d'une hiérarchisation des races), le racisme et la xénophobie culturels (le jugement péjoratif d'une communauté, sans qu'il y ait forcément de hiérarchie explicitement reconnue et sans s'appuyer sur l'idée de races), et les biais racistes et xénophobes (les stéréotypes et clichés qui englobe toute une communauté ou nationalité).
Pour moi, c'est important de se rendre compte qu'être raciste n'est pas forcément une chose "grave"; après tout, certains clichés discriminants racistes et xénophobes sont culturels et se reproduisent socialement). Il faut être capable de se rendre compte qu'on utilise des stéréotypes constamment pour "penser plus vite"; de se rendre compte que n'importe qui est un peu raciste car n'importe qui a des biais (péjoratifs ou positifs) face son environnement (c'est le principe de "discriminer", qui signifie littéralement "juger en distinguant"). Quand on sait qu'on peut être raciste sans être monstrueux ou criminel, on peut plus facilement se remettre en question car ça ne remet pas en question l'ensemble de son intégrité mais quelques biais qu'on a intériorisés. C'est difficile de changer, mais si on veut être une meilleure personne, il faut pouvoir se remettre en question. Or pour se remettre en question, il faut avoir les moyens de le faire sans s'autodétruire psychologiquement!
En somme, je dirais que tout ça c'est très compliqué, et que si on veut s'assurer d'être respectueux des autres, il faut savoir admettre qu'on est imparfait. Le bon coté des choses, c'est qu'être imparfait peut aussi signifier être perfectible; ça ne tient qu'à nous de le décider
