Je trouve un peu dommage la manière dont le débat tourne
Je trouve le sujet de l'article intéressant et autant la grille de lecture privilégié/pas privilégié est super utile dans de nombreux domaines, autant je la trouve presque contre-productive ici.
Parler de privilège concernant le physique a un sens dans un contexte de discriminations objectives, là où on peut identifier des caractéristiques physiques qui entrainent des discriminations : l'obésité, le handicap, le fait d'être racisé, etc.
En dehors de ces cas, le fait d'être "beau" ou "moche" n'a par contre pas grand-chose d'objectif. Par exemple, l'autrice parle de "nez de sorcière" qui lui valait des moqueries dans l'enfance. Je suis désolée mais un "nez de sorcière" n'est pas la source d'une discrimination structurelle car ça ne veut RIEN DIRE. Ce genre de caractéristique physique va être moquée dans une école X une année X et pas du tout ailleurs, ça va totalement dépendre du contexte et de dizaines de facteurs, de même que la beauté ou la laideur de quelqu'un, quand elle n'est pas liée à des caractéristiques physiques sources de discrimination, est un concept totalement subjectif, instable et variable d'une période de vie à une autre, d'un groupe à un autre. Les gens sont énormément considérés comme beaux et laids en fonction de choses indépendantes des traits du visage : leur confiance en eux, leur popularité, leur sens de la mode, leur minceur, leur talent dans le maquillage, leur capacité à sourire, leur coiffure, le fait qu'ils portent des lunettes ou non...
Je vois que tu cites des études sur les enfants beaux
@LadyOscar et ça me dit vaguement quelque chose. Mais perso, non seulement je suis assez sceptique sur ces comparaisons enfants beaux/laids, mais en plus je pense que pour le coup ça n'a rien à voir avec la perception de la beauté chez les adultes, d'autant qu'être un "bel enfant" ne veut pas du tout dire qu'on sera jugé séduisant à l'âge adulte et vice versa. En plus, la notion du "bel enfant" est plus lié à des questions de stéréotypes raciaux qu'autre chose. Donc parler de privilège des gens beaux sur la base de ce genre d'études me parait un peu excessif.
Et ce qui concerne l'évolution du regard des autres, mon expérience perso n'est pas vraiment la même que celles de plusieurs MadZ qui ont témoigné. Je fais autour de 70kg la plupart du temps, donc je ne suis pas mince mais pas exactement "grosse" non plus (ça dépend des perceptions ceci dit mais globalement, on ne me qualifie pas vraiment de grosse dans ma face). J'ai eu des périodes où j'ai fait 60kg et d'autres presque 85kg. La VRAIE différence entre ces trois morphologies, c'est surtout à quel point ça affectait ma confiance en MOI-MEME et donc ma capacité à interagir avec les autres, parce qu'on m'avait CONVAINCUE que répondre aux normes était essentiel.
Je n'ai franchement pas noté de grande différence objective dans l'attitude des autres vis-à-vis de moi en dehors peut-être du contexte amoureux. Mais même là, quand un beau mec m'a proposé de boire un verre en tête à tête à 85kg ma première réaction a été de penser qu'il ne m'avait pas bien vue car il faisait sombre, donc qu'il n'aurait probablement pas proposé ça en plein jour, et j'ai refusé son verre, ce que je n'aurais JAMAIS JAMAIS fait avec 15kg de moins (il me plaisait énormément). Avec le recul, bien sûr que c'était ridicule, le gars ne s'était pas trompé en m'invitant, mais MOI je me voyais différemment. Et quand j'étais à 60kg, j'avais perdu du poids car j'étais triste, je surcompensais ma tristesse en étant hyper coquette (tout le monde me félicitait pour être "devenue plutôt mince" d'ailleurs), et je peux vous dire que ma vie sociale et mes interactions avec les autres étaient loin d'être plus fructueuses qu'à 85kg.
Parce que dans aucune de ces situations, je n'étais obèse ou à un point où j'étais susceptible d'être victime de discrimination, donc l'attitude des autres, hors contexte d'ambiguïté et de séduction amoureuse, avait peu de lien avec le fait que j'avais 10kg de plus ou de moins. L'attitude a plus d'importance que le fait de rentrer dans les canons de beauté pour "séduire" socialement, et le truc c'est que c'est vrai qu'on a plus de chance de déborder de confiance en soi en rentrant dans les canons de beauté mais si on se sent vide à l'intérieur, ben c'est pas une baguette magique.
Alors c'est sûr hein qu'à choisir, je préférerais avoir un corps qui corresponde aux normes sociales, parce que j'ai l'espoir que ça m'apportera plus de bonheur dans la vie et que les gens m'apprécieront plus. Mais le sujet de cet article, c'est justement qu'il y a une grosse part d'illusion dans cette croyance. Et le truc c'est qu'on nous a tellement persuadés que certains physiques nous apporteraient le bonheur que quand notre propre physique varie, on peut être tenté de lui attribuer certains de nos succès et échecs à tort. Parce qu'en fait, comment savoir si c'est objectivement notre physique ou plutôt notre rapport à nous-même, notre confiance en nous qui impacte notre relation aux autres? Et quand on est sûres que c'est notre physique, on peut aussi se demander si c'est vraiment tant que ça un avantage ou si ça n'a pas une contrepartie insidieuse?
Genre c'est clair que ma pote avocate plutôt mignonne a parfois des meilleurs rapports avec les policiers qui détiennent ses clients que ses confrères masculins... mais franchement, est-ce que c'est VRAIMENT un avantage que le policier sexiste te fasse des grands sourires parce que t'es une jeune nana pas moche et qu'il te voit comme ça avant de te voir comme avocate? Enfin, c'est cool hein que le flic lui parle pas mal, mais ça se paye dans d'autres circonstances, d'autant que les minauderies de façade et l'impression qu'on te rend service n'est souvent pas très utile sur le fond. En effet, c'est cool de se voir proposer un verre d'eau quand on attend au poste de police, mais les flics font tout autant semblant d'avoir des problèmes administratifs qui font qu'on va devoir poireauter et comme ils instaurent cet espèce de rapport poli/séduction, ils envoient aussi le message que si on cesse d'être la jeune nana charmante à qui on a envie de plaire, notamment en se montrant plus ferme, ils vont eux aussi être beaucoup moins sympas.
Du coup, je trouve que réagir au message d'une femme qui parle des pressions mentales exercées sur le physique des femmes et son lien avec une quête illusoire du bonheur en mode "ouais bah te plains pas trop non plus", c'est quelque part aller dans le sens du patriacat car ça crée un sentiment de rivalité entre femmes, ça empêche les femmes arbitrairement désignées comme "plus belles" (et dont le statut est EXTREMEMENT volatil, la beauté n'est quasiment pas objective) de pouvoir s'allier avec d'autres femmes, entretenant ainsi une sorte de compétition pour accéder à la validation patriarcale.
Franchement, soyons solidaires entre femmes sur ce coup-là. Demandons-nous vraiment si hors discrimination structurelle, on est vraiment beaucoup moins bien lôties que untelle du fait de notre physique ou si c'est pas ce que veut nous faire CROIRE le patriarcat.
EDIT : Et je précise que ce message est en grande partie inspirée par le fait que j'ai eu l'occasion d'être au contact d'ENORMEMENT de gens de toutes sortes de milieux au cours de ma vie, notamment du fait de mes différents métiers. Et parmi les milliers de gens avec qui j'ai interagi, j'aurais qualifié vraiment peu de femmes de laides, mais pourtant quand je lis certaines réactions à ce genre de sujets, il y a tellement de femmes qui disent "oui bah tu peux pas savoir car t'es belle contrairement à moi qui suis/ai été objectivement moche", que j'ai tendane à penser qu'une grande partie de ces femmes qui se présentent comme objectivement moches (et doivent certainement se voir ainsi) ne le sont pas réellement... et la notion de "beauté normée" devient donc clairement une forme d'outil artificiel utilisé pour diviser les femmes.
(Le fait que des tiers vous disent que vous êtes moche n'est pas un indicateur très fiable : les hommes adorent dire aux femmes qu'elles sont laides quand elles ne leur accordent pas l'attention qu'ils attendent par exemple, et une femme peut être qualifiée de bonnasse une minute et de "grosse vache" l'instant d'après, et le terme de beauté recouvre souvent des concepts qui dépassent les traits du visage - une femme apprêtée va souvent être jugée plus belle qu'une femme en pyjama, décoiffée et sans maquillage, mais ce n'est pas ça la beauté concrètement).